Mélanie Lanouette. Faire vivre ou faire connaître. Les défis de l’enseignement religieux en contexte de renouveau pédagogique, 1936-1946. Collection « Religions, cultures et sociétés », Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2002, 174 p.
Une étude intelligente. C’est le sentiment dominant qu’on retient au sortir de la lecture de l’ouvrage de Mélanie Lanouette, issu d’un mémoire de maîtrise dont le titre disait bien son objet : Entre tradition et innovation : l’enseignement du catéchisme chez les Frères des Écoles chrétiennes au Québec, 1936-1946 (histoire, Laval, 2000). Ce travail s’inscrit dans la pléthore de recherches qu’animent à l’Université Laval, depuis plus de vingt ans, l’équipe de Raymond Brodeur, Brigitte Caulier et Nive Voisine, autour des catéchismes, puis de l’enseignement religieux. J’ai cru d’abord que l’ouvrage portait sur le catéchisme, pour m’apercevoir en bout de ligne qu’il traite avant tout de pédagogie, de renouveau pédagogique dans l’enseignement religieux. D’où le titre, un peu bizarre, Faire vivre ou faire connaître, sans doute trop calqué sur celui d’un autre ouvrage de la même collection paru en même temps, Mourir et renaître. Mais on verra dans un moment à quoi cela rime…
Lanouette présente d’abord l’idéal lasallien (les Frères des écoles chrétiennes ayant été fondés par Jean-Baptiste de La Salle, qu’une malheureuse coquille fait naître en 1615 – plutôt qu’en 1651). Dans un style très vivant, on nous présente « le réveil lasallien » des années 1939-1943, qui suit – ou se manifeste – par les coups de gueule du frère Marie-Victorin (1931-1934), la création de l’Institut pédagogique Saint-Georges (1929), la mise sur pied de deux Commissions des Études, en 1936, avec chacune sa revue pédagogique, Les Études pour le district de Montréal et La Voix du Travail pour celui de Québec (contrairement à ce qui est écrit au début de la 2e partie, qui intervertit les districts). Ce renouveau pédagogique de l’enseignement religieux est plus vigoureux à Montréal, où un Comité catéchistique est mis sur pied en 1939, suivi d’une « croisade du catéchisme » en 1940 (que de croisades le Québec n’a-t-il pas connues dans ces années !) et surtout de semaines de l’enseignement religieux à Québec (1939), Trois-Rivières et Montréal (1941) (des photos en illustrent les deux couvertures). Il y a là, de toute évidence, une volonté d’agir, de secouer l’indifférence religieuse.
La deuxième partie est un peu plus studieuse, puisqu’elle examine le contenu des deux revues pédagogiques, outils de formation pour les frères. On y voit se manifester le renouveau pédagogique, avec la méthode inductive, qui part de l’enfant pour aller au savoir, et les méthodes actives d’enseignement, qui font agir les élèves. D’où l’idée des activités pratiques, et notamment des cahiers d’exercices, objet de la troisième partie.
C’est là que Mélanie Lanouette a eu un coup de génie. Au lieu de s’en tenir à l’analyse de la série des frères, Mon cahier de religion, dirigée par le célèbre frère Cyrille et publiée en 1944, elle a voulu la comparer, pour les cahiers de la 3e à la 6e année, avec une autre série analogue, rédigée celle-là par la non moins célèbre soeur Saint-Ladislas, des Soeurs de l’Assomption de la Sainte-Vierge (de Nicolet). La comparaison est rien moins que sensationnelle et fait ressortir avec force que, là où les frères ne font faire des exercices que pour mieux faire assimiler le contenu du catéchisme, le manuel de soeur Saint-Ladislas, Mon cahier d’enfant du bon Dieu, accompagné de surcroît d’une série substantielle de guides pour les maîtres (Aux petits du Royaume), va directement à l’explication de l’essentiel et vise, de manière très pratique, à l’intériorisation de la foi. Lanouette reproduit trois séries d’images, qui rendent la démonstration on ne peut plus convaincante. D’où le titre, qu’on comprend dès lors : Faire vivre (ASV) ou faire connaître (FEC).
L’analyse se porte ensuite sur deux points de doctrine : les discours sur Dieu et sur l’Église. Les mêmes contrastes ressortent avec force. Comment les expliquer? L’A. évoque le rapport de genre, les frères (hommes) adoptant une approche rationnelle, alors que les soeurs (femmes) s’orientent vers une approche plus intuitive. Les conséquences que peut entraîner pareille analyse sont considérables et portent à réflexion.
Mais là où Mélanie Lanouette réussit son plus grand tour de force, c’est dans la modestie et la retenue de ses conclusions, prudentes et mesurées. Ses analyses sont toutes en finesse. Là où d’autres – moi le premier – auraient tonitrué leurs découvertes en faisant intervenir lourdement de graves concepts théoriques, elle avance sur la pointe des pieds, soulevant le coin du voile et faisant voir la réalité toute nue. La conclusion n’en est que plus convaincante : « En somme, pendant que la série Mes cahiers d’enfant du bon Dieu est plutôt tournée vers la compréhension et l’intériorisation du message religieux, Mon cahier de religion mise davantage sur l’acquisition cognitive, rationnelle et objective des connaissances et des notions relatives au catéchisme. » (p. 145).
Il reste beaucoup de choses à vérifier à partir de là. Retrouverait-on les mêmes différences en examinant d’autres congrégations, en faisant porter l’analyse sur d’autres matières scolaires? Le champ de recherche est ouvert. En tout cas, ce livre vient conforter ceux qui croient que le renouveau pédagogique n’a pas commencé avec le rapport Parent ou avec la série Viens vers le Père (1963). Mais il va plus loin. Il montre qu’il y a renouveau et renouveau : certains ne changent que l’enveloppe, la présentation, alors que d’autres visent au coeur du contenu.
Le livre est bien écrit, sans faute d’orthographe (un exploit pour l’édition québécoise !), bien illustré; on déplorera cependant l’absence d’une photo de soeur Saint-Ladislas. Autre regret : l’A. n’aurait-elle pas pu recourir à des sources orales? Mais ne boudons pas notre plaisir : ce livre nous fait réfléchir, et sur l’essentiel. Une étude intelligente, vous disais-je.
Guy Laperrière
Département d’histoire
Université de Sherbrooke