Ce livre apporte une contribution à l’histoire de l’éducation, plus particulièrement, à celle de la formation professionnelle au Québec et à celle de l’Église. Outre les trois directeurs de l’ouvrage déjà identifiés, Jean-Paul Rouleau, Gilles Routhier et Jacques Racine ont signé des textes. Selon les sujets traités, une périodisation différente est adoptée. Nive Voisine analyse les changements structuraux qu’a connus la faculté et il divise les 150 années en trois périodes : 1852-1931,1932-1970 et 1971 à nos jours. Il montre comment la Faculté de théologie, patronnée par le Séminaire de Québec qui fut à l’origine même de la création de l’Université Laval, est ensuite devenue une faculté canonique, en 1931, avant de se transformer en une « faculté parmi d’autres » en 1970. Jacques Racine utilise la même périodisation pour son étude critique et combien lucide de l’histoire de l’institution. De son côté, Brigitte Caulier, plus près de l’histoire des réformes en éducation, ne retient que deux époques, avant et après 1960, pour décrire et expliquer les transformations intervenues au sein du corps professoral et chez les étudiants. L’unité de l’ouvrage souffre de l’absence d’une périodisation unique qui aurait certainement conduit à approfondir l’analyse des années 1955-1970 au cours desquelles pointe le dynamisme de la recherche en sciences sociales et ne débouche que très lentement, il est vrai, sur des réformes académiques.
La première période, 1852-1931, est celle au cours de laquelle l’Église québécoise eut la liberté de prendre toutes les initiatives. Son projet éducatif embrassait alors tous les niveaux de la formation scolaire et académique. Elle couvrait le spectre entier du système d’éducation. Elle dépensa beaucoup d’énergie pour s’accaparer des écoles de village et, à l’autre bout, créer l’Université Laval au cœur de laquelle elle plaça la Faculté de théologie qui se distinguait peu du Séminaire de Québec. Son supérieur n’était-il pas de jure recteur de l’Université. Les hommes d’influence qui inspiraient sa pensée possédaient, au XIXe siècle, un tel pouvoir qu’ils ont fait du projet d’une université à Montréal l’objet d’un conflit interne. Détenant l’autorité de Dieu sur terre, ils estimaient l’État au service de l’Église et ont fait de l’école « une succursale de la famille ». Au tournant du siècle, ils se sont également engagés dans l’action sociale à la fois par des études leplaysiennes et, allant sur le terrain, par la défense des travailleurs. Bref, une université cléricale donc, soumise étroitement à l’archevêque de Québec. Sur le plan de la formation, la Faculté et le Séminaire de Québec eurent pour objectif commun de préparer la relève de prêtres formés à une théologie qui « trônait au sommet de toutes les sciences » et qui se servait de la grille thomiste ; formés également à la morale ligurienne, en retard là-dessus, sur Montréal.
La seconde période, 1932-1970, s’est ouverte avec la publication de la constitution apostolique Deus scientarium Dominus (24 mai 1931) qui donnait la voie à suivre pour la formation du clergé qu’on souhaitait plus savant et mieux préparé à défendre la foi dans les combats du siècle. Cela a conduit, non sans objections de la part des administrateurs préoccupés par des questions financières, et seulement après 1933, à libérer l’ecclésiastique de l’enseignement collégial. Toutefois, même si des rapports furent tissés avec la philosophie, l’enseignement universitaire continua de reposer sur la Somme théologique de Saint-Thomas d’Aquin. Le renouveau fut mince dit Nive Voisine (p. 31). La réforme désirée par Rome tarda à se faire sentir, si bien que le changement n’apparaîtra que dans les années d’après-guerre : « Pendant plus de cent ans, la faculté de théologie s’est peu à peu perdue dans la mission du Grand Séminaire qui a exercé le leadership » (p. 330). « Devenus répétiteurs », écrit Jacques Racine, les théologiens se tinrent en retrait des grandes questions qui entourent l’identité : société, religion et culture. Mais, doit-on le suivre et en imputer la cause uniquement à l’intransigeance romaine et à la faiblesse du recrutement ecclésiastique ? (p. 332).
Le renouveau n’allait pas de soi et, en tout premier lieu, il reposait sur de nouvelles redéfinitions des rapports de la Faculté avec l’Université et de ceux de la théologie avec les sciences humaines. La création de l’Institut de pastorale (1958) et celle du Centre de recherches en sociologie religieuse (CRSR) allaient dans ce sens, même si les objectifs assignés au Centre en firent d’abord un serviteur de l’Institut (p. 36). Néanmoins, l’amorce du changement existait. Pour établir de nouvelles connaissances, le Centre pouvait s’appuyer sur des orientations de recherches en sciences humaines inspirées des travaux de professeurs invités, tel le chanoine Boulard. Le renouvellement passait aussi par la reconfiguration de la place de la Faculté dans l’Université. C’est dans le cours des années 1960 qu’elle apparaît, souvent dessinée par des membres du clergé qui ont compris l’ampleur des changements sociaux qui s’opéraient sous leurs yeux. Cependant, il semble que l’Université ait davantage profité de leur dynamisme et de leur science pratique de la gestion que la Faculté.
Comment rester un pôle de réflexion théologique dans une université civile ? Comment concilier le statut canonique de 1931 et la charte de l’Université Laval ? Comment enfin répondre à la demande sociale de formation universitaire d’étudiants dont les objectifs sont devenus plus variés et la formation pré-universitaire très éloignée de celle qui prévalait jusque-là ? Ces questions sont abordées dans l’étude de la troisième période. La Faculté de théologie fut mise sous observation, écrit avec justesse Brigitte Caulier. Elle n’est pas passée sans traumatisme de la formation professionnelle à la formation disciplinaire. Alors que les professeurs faisaient publiquement état de leurs divergences, il fallait mettre en place des programmes de formation ajustés à une demande sociale changeante et à exigence variable : à la formation du clergé a succédé celle des auxiliaires du clergé, puis la satisfaction d’une quête spirituelle exprimée par les étudiants.
Ce livre démontre bien que l’unité autour de la discipline est faite. Il me convainc également que l’étude des années 1930 est cruciale pour mieux comprendre comment l’Église du Québec, dépassée par les événements sociaux, incapable d’assumer les responsabilités qu’elle s’était donné, commença à perdre pied. Je ne m’attendais pas à trouver cela dans une histoire de la Faculté de théologie et des sciences religieuses de Québec.
Jean Roy
Département des sciences humaines
Université du Québec à Trois-Rivières