Jan Van Wiele
Le livre scolaire s’avère une voie privilégiée pour détecter les grandes structures ou mentalités constitutives d’une culture scolaire. À partir de l’analyse des manuels scolaires d’histoire du Canada et d’histoire de l’Église catholique utilisés dans l’enseignement primaire et secondaire francophone au Québec de 1870 à 1950, nous voulons identifier quel paradigme interculturel de « l’autre » a prévalu dans la société québécoise pendant cette période. Nous ferons appel à des concepts contemporains venant de la théologie et de l’histoire de la religion, comme « l’inclusivisme » et « l’exclusivisme », qui se prêtent particulièrement bien à la recherche historique et pédagogique des mentalités et réalités interculturelles dans l’enseignement. Ce faisant, nous espérons contribuer d’une façon originale à l’identification d’une des grandes structures qui ont formé l’enseignement de la religion et de l’histoire au Québec durant la période considérée.
The textbook is undeniably a prime source for identifying the important structures or mentality inherent in the culture of an educational system. The objective was to identify which intercultural paradigm of the “other” was prevalent in Quebec society during this period through the analysis of Canadian history and the history of the Catholic church textbooks used in French primary and secondary education in Quebec, from 1870 to 1950. The use of contemporary concepts from theology and the history of religion such as “inclusivity” and “exclusivity” is singularly apt for historical and pedagogical research of intercultural mentalities and realities in education. Thus, it is hoped that an original contribution will be made to the important structures that have shaped the teaching of religion and of the history of Quebec during the period in question.[*]
Il est plutôt étonnant qu’on ne dispose pas encore d’une étude systématique de la représentation de l’Amérindien dans les manuels de religion et d'histoire utilisés dans l’enseignement catholique primaire et secondaire au Québec publiés avant 1950. Arcand et Vincent ont mis en lumière la question des préjugés et du racisme dans les manuels scolaires québécois plutôt récents mais ils ont peu étudié les manuels de religion[2]. Cela s’explique peut-être par le fait que, dans les milieux académiques et historiques, on ne cède toujours pas beaucoup de place aux analyses scientifiques des manuels, ce domaine étant normalement considéré comme de la « petite histoire ». C'est à mon avis injuste: le corpus des manuels forme une excellente source pour l'étude des mentalités dans l'enseignement et dans la société[3] : par leur caractère succinct, ils sont particulièrement sensibles aux manipulations idéologiques. Par conséquent, ils peuvent généralement beaucoup plus que l’historiographie « officielle » fonctionner comme baromètres de l’idéologie sous-jacente aux représentations de toutes sortes. Si, en outre, dans la ligne de certains courants de l’historiographie pédagogique, on définit un système d’enseignement comme une « culture scolaire », ou, plus précisément, comme un ensemble de valeurs, de normes et d’attentes qui ont un impact déterminant sur la manière dont on donne forme à l’école, et sur les activités des membres de l’école[4], il va pratiquement de soi que le livre scolaire, en tant que point de cristallisation de toute une culture scolaire, constitue une voie privilégiée pour mettre au jour les grandes structures ou mentalités constitutives de celle-ci. C’est pourquoi nous voulons ici, à partir de l’étude des manuels scolaires d’histoire du Canada et d’histoire de l’Église catholique utilisés dans l’enseignement primaire et secondaire francophone au Québec, examiner quel paradigme interculturel de « l’autre » a prévalu dans la société québécoise pour la période 1870-1950[5].
Nous ferons appel à un nombre de concepts venant de la théologie, qui se prêtent particulièrement bien à l'éclaircissement du processus de formation de l'identité culturelle. À l’aide des concepts contemporains d’« inclusivisme » et d’« exclusivisme », les chercheurs essaient aujourd’hui d’étudier le paradigme interreligieux sous – jacent à l’approche chrétienne des religions non chrétiennes avant, pendant et après Vatican II (1962-1965). La plupart des auteurs considèrent qu’avant Vatican II l’attitude de l’Église catholique aurait été « exclusiviste » par rapport aux religions non chrétienne[6]. L'idée qu'uniquement le christianisme, et en particulier l'Église catholique, possède la vérité et le salut, aurait été dominante dans l’Église catholique de l’époque et aurait conduit à une image négative de l’autre religion et de l’autre culture dans l’enseignement. En revanche, une minorité d’auteurs supposent que le paradigme interreligieux dominant au sein de l’Église pour la période envisagée doit être défini comme « inclusi-viste »[7]. Sous le mot « inclusivisme », il faut entendre ce paradigme théologique qui reconnaît qu'il est possible de trouver la vérité partielle et certains moyens de salut dans les religions non chrétiennes, à condition que Jésus-Christ soit la norme ou l'élément constitutif de cette vérité et de ce salut[8]. Une des conséquences logiques d'un tel paradigme, auquel on n'a pour ainsi dire jamais fait appel, serait un enrichissement scientifique réciproque, une image plus équilibrée des autres religions et des cultures.
Avec cette approche, nous poursuivons un double but. En premier lieu, nous voulons, par l’intégration des concepts d’« exclusivisme » et d’« inclusivisme » à l'historiographie de l’enseignement, contribuer d’une façon originale à l’histoire des mentalités. En liant cette recherche à la discussion sur l’histoire des mentalités concernant le christianisme occidental, nous voulons en même temps apporter une contribution substantielle à l’histoire des théologies des religions non chrétiennes au sein même de l’Église catholique. En effet, le modèle interreligieux trouvé dans les manuels, peut donner plus de poids aux opposants ou défenseurs de l’opinion selon laquelle la mentalité interreligieuse et/ou interculturelle dominante dans l'Église catholique aurait été « exclusi-viste » avant Vatican II. Le cas type du Québec offre un point de comparaison particulièrement intéressant, vu la présence de religions et de cultures indigènes (Indiens, Inuit). On peut dès lors supposer que, dans un tel contexte, la problématique des relations entre l'Église catholique et les religions non chrétiennes a été posée d’une façon beaucoup plus aiguë.
Quelques remarques préliminaires s’imposent d’emblée. Tout d’abord, comme cela n’aura certainement échappé à personne, la présente étude traite sans distinction des manuels en langue française consacrés à l’histoire ecclésiale canadienne et de ceux, également en français, portant sur l’histoire du Canada en général. À première vue, cette approche pourrait être critiquée en raison du fait qu’elle mettrait sur le même pied, au mépris de la rigueur historique, deux sources qui ne sont pas – ou seulement partiellement – comparables. Or, pour le Québec, ce n’est pas le cas : durant la période étudiée, tout l’enseignement catholique était tellement marqué par la doctrine catholique que pour la quasi-totalité des auteurs canadiens-français de manuels, l’histoire de la Nouvelle France se confondait avec l’histoire de l’Église catholique[9]. La seule différence entre les manuels d’histoire de l’Église canadienne et les manuels d’histoire du Canada est que les premiers s’étendent davantage sur les heurs et malheurs des missionnaires et du clergé régulier et séculier dans l’ancienne colonie française, tandis que les seconds mettent davantage l’accent sur les faits purement politiques et économiques[10]. Ce qu’il importe de souligner ici c’est que du point de vue de la représentation de l’Amérindien, on n’observe aucune différence entre ces deux catégories d’ouvrages qui forment notre corpus. Pour rassembler le corpus de base, nous avons fait appel à la collection de manuels scolaires[11] de l’Université Laval, qui est généralement considérée comme la collection la plus représentative et la plus complète du matériel didactique (programmes scolaires, manuels, manuels du maître, etc.) utilisé dans l’enseignement catholique au Québec pour la période allant de 1760 à 1964. Pour la sélection des sources, nous avons procédé de la manière suivante : tous les manuels d’histoire de l’Église canadienne et d’histoire du Canada utilisés dans l’enseignement primaire et secondaire au Québec durant la période considérée ont été consultés[12]. Néanmoins, le corpus étant trop important, nous n’avons retenu que les manuels dont l’édition principale se situait pendant la période 1870-1950[13]. Ce procédé a donné un échantillon définitif de 12 manuels pour l’enseignement primaire[14] et de 9 manuels pour l’enseignement secondaire[15].
Le découpage chronologique utilisé ici, la période 1870-1950, s’explique par le fait que la présente étude fait partie d’un projet plus vaste portant sur les liens entre le paradigme interculturel et la représentation des religions et des cultures non chrétiennes dans les manuels de religion en Belgique et au Québec. Comme le cas de la Belgique a servi de point de départ à cette étude, la chronologie a été dictée par les manuels belges: le manuel belge le plus ancien susceptible de nous intéresser date en effet de 1869, tandis que le plus récent a été publié en 1944.
La présente étude prolonge en effet une recherche que nous avons effectuée très récemment autour de l'analyse du paradigme interreligieux sous-jacent à la représentation de l’islam dans des manuels scolaires de religion utilisés de 1886 à 1961 dans l’enseignement catholique primaire et secondaire en Belgique[16]. Nous avons alors notamment pu constater que la théologie des religions non chrétiennes qui prévalait était « inclusiviste ».
Pour cette étude portant sur les manuels utilisés au Québec, nous formulons les mêmes hypothèses, soit que:
1. le paradigme interreligieux qui a façonné la représentation de l’Amérindien dans les manuels canadiens en langue française consacrés à l’histoire (de l’Église) est inclusiviste;
2. ce modèle est également présent dans l’historiographie canadienne (francophone) de l’époque;
3. l’apologétique, le souvenir d’une violence, l’historiographie romantique narrative et légitimante, la problématique de la colonisation, le prosélytisme missionnaire et l’évolutionnisme culturel sont autant d’éléments qui ont joué un rôle constitutif dans l’émergence d’une représentation négative de l’Amérindien.
Quelques mots sur la méthode utilisée ici. L’analyse des livres scolaires a été longtemps dominée par ce qu’il est convenu d’appeler l’analyse de contenu, une méthode issue de la sociologie empirique et des sciences de la communication et dont le but est de relever les tendances rédactionnelles implicites et explicites dans les sources littéraires. Cette tendance a souvent donné lieu à une approche internaliste dans laquelle le développement d’idées pédagogiques était étudié comme un phénomène en soi, sans égard pour le contexte dans lequel elles s’inscrivaient. Aussi, sur la base de nos propres recherches, nous avons récemment plaidé en faveur d’une approche herméneutique davantage externaliste de l’analyse des manuels scolaires, approche suivant laquelle l’origine et le contenu des mentalités pédagogiques doivent être expliqués en étroite relation avec leur contexte social et historique. Notre modèle repose sur ce que Clifford Geertz a qualifié en son temps de thick description dans le domaine de l’anthropologie2 et, dans le même ordre d’idées, sur les notions que Marc Depaepe et Frank Simon ont récemment mises en oeuvre dans leur étude des mentalités présentes dans les revues de pédagogie[17].
I. Une représentation de « l’autre » influencée par l’historiographie européenne de l’époque
L’étude du paradigme interreligieux ayant façonné la représentation des religions amérindiennes nécessite celle de l’historiographie prévalant dans les manuels. Une telle démarche permet de mettre au jour certains éléments déterminant la manière de considérer l’autre, c’est-à-dire le non-chrétien. Deux constatations sont importantes à cet égard. La première est que dans les manuels d’histoire (ecclésiale) du Canada, les auteurs expriment une vision chrétienne et occidentale de l’histoire de la religion, de la civilisation et de l’Église, semblable à celle que l’on retrouvait en Europe occidentale durant la période étudiée[18], vision selon laquelle la religion et la culture catholiques étaient supérieures aux autres cultures et religions[19]. Les auteurs considèrent en effet l’évangélisation et la colonisation de la Nouvelle-France (avant 1763) comme faisant partie du plan de la Providence divine visant à partager la Bonne Nouvelle avec les peuples de l’Amérique du Nord, qui vivaient dans les « ténèbres »[20]. Il n’est pas rare de trouver également un parallèle entre la situation de l’Église chrétienne primitive naissante et celle des premiers colons français au Québec et la lente conversion des Indiens[21]. Mais la vision que projettent les auteurs pour la période postérieure à la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques diffère : elle se concentre sur le combat que mènent les Canadiens français contre l’administration britannique afin de maintenir leur identité propre, faite de la foi catholique, de la langue française et des lois et coutumes de la mère-patrie, à savoir la France, envers et contre le « colonisateur » anglais.
De ce point de vue, les manuels sont le reflet parfait de l’historiographie canadienne scientifique de l’époque. L’exemple type de ce courant est incarné par François-Xavier Garneau, l’une des figures de proue de l’historiographie nationale québécoise. Dans sa célèbre Histoire du Canada, il résume toute la période des 16e et 17e siècles comme « l’aperçu des mœurs des sauvages, le précis du régime civil et du régime ecclésiastique, la relation des découvertes dans l’intérieur du continent, etc »[22], une vision qui défend la supériorité de la civilisation moderne imprégnée par le christianisme sur la barbarie et la « sauvagerie » des populations autochtones[23]. Sa vision du 18e siècle diffère : elle prend pour axe principal le combat du « petit » Québec contre le « grand » colonisateur anglais[24]. Jean-Baptiste Ferland nous semble plus représentatif du discours interreligieux sous-jacent à cette historiographie[25]. Dans la partie de ses Cours d’histoire du Canada consacrée à la Nouvelle-France, celui-ci fait l’éloge des missionnaires de la colonie qui « ont fait briller le flambeau du christianisme et de la civilisation au milieu des tribus qui dormaient plongées dans la nuit de l’infidélité »[26].
La deuxième constatation concerne l’influence de l’historiographie romantique du 19e siècle[27]. Ce genre poursuivait dans une très large mesure un objectif de légitimation et mettait l’accent sur l’histoire des grands personnages et des hauts faits politiques et militaires. Quiconque a l’occasion d’ouvrir un manuel d’histoire (ecclésiale) du Canada de cette époque reconnaît immédiatement cette variante historiographique[28] : le propos est centré sur des anecdotes politiques et militaires (surtout en rapport avec les Iroquois et leurs concurrents coloniaux anglais), et l’on y trouve une préférence claire pour l’histoire à orientation biographique, notamment autour de « monuments » historiques comme Jacques Cartier, Samuel de Champlain, D’Ailleboust, Chomedey de Maisonneuve, Dollard des Ormeaux, etc.[29]. Les manuels qui traitent exclusivement de l’histoire ecclésiale canadienne se distinguent néanmoins de ceux consacrés à l’histoire du Canada en général en ce que les premiers vont davantage chercher ces personnages illustres dans les cercles religieux (comme les pères Jésuites Bréboeuf et Lalemant, Mgr Montmorency de Laval, Marie de l’Incarnation, etc.[30]), tandis que les seconds mettent plutôt de l’avant des figures politiques et militaires importantes. On peut faire une constatation similaire pour les grandes histoires (ecclésiales) canadiennes, desquelles se sont bien sûr inspiré les auteurs de manuels. Garneau fait figure de représentant de l’historiographie plus politique et militaire[31], tandis que Ferland représente plutôt l’approche religieuse. Ce double courant historiographique demeure constant durant toute la période étudiée, tant dans les manuels que dans l’historiographie périphérique, à cette différence près que vers 1920, on voit apparaître une légère tendance à la dépersonnalisation du propos, ce qui se traduit entre autres par un style narratif plus sobre et moins de pathos romantique[32]. Cela étant, les grands principes historiographiques de l’époque restent pratiquement intacts.
Vu les contraintes d’espace particulièrement inhérentes au manuel scolaire, il s’en dégage quasi immanquablement une image statique et stéréotypée de l’Amérindien, auquel on ne commence à s’intéresser que lorsqu’il devient l’objet de la colonisation ou de l’œuvre missionnaire. Concrètement, cela s’exprime d’entrée de jeu dans la caractérisation de l’Amérindien (canadien[33]), le plus souvent présenté comme un « sauvage », mais aussi comme un « naturel du pays »[34], un « peau-rouge »[35], un « enfant du bois », un « aborigène »[36], etc. Puis, l’Amérindien n’apparaît pratiquement plus que sous les traits de l’Iroquois, notamment dès que celui-ci représente une menace réelle pour le colonisateur français et pour le Huron qui, se convertissant lentement, devient l’allié du colonisateur[37]. Dans les pages consacrées à l’histoire du 18e siècle, c’est-à-dire à l’époque où la menace iroquoise a été brisée, l’Amérindien disparaît presque complètement de la scène. Dans une minorité de manuels, il réapparaît discrètement çà et là pour illustrer la conversion d’un autochtone au christianisme. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’il soit présenté comme un fervent fidèle dépassant en dévotion et en piété le Blanc civilisé[38]
II. Religion amérindienne versus religion chrétienne
Lorsque l’on examine de plus près les passages de ces manuels qui traitent spécifiquement de la religion et de la culture amérindiennes, on s’aperçoit rapidement que la religion chrétienne est considérée, implicitement et explicitement, comme la seule vraie. La religion de l’Amérindien est par contre qualifiée de païenne ou de fausse, étant donné qu’elle doit se passer des lumières de la vraie foi chrétienne.
Cela ne veut pourtant pas dire que tout, dans la dogmatique amérindienne, soit jugé négatif ou faux. Au contraire, dans pratiquement tous les manuels, on peut observer que, malgré la présence de nombreux mensonges et/ou défauts, la religion de l’Amérindien recèle également une part non négligeable de vérité ou de bien. Ces manuels évoquent seulement une gradation: le christianisme possède la totalité de la vérité, tandis que la vérité, dans la religion amérindienne, est seulement partielle et parsemée d’erreurs. Seul le christianisme rassemble, dans une synthèse inimitable, tout le bien qui se trouve également présent de manière fragmentaire dans la religion amérindienne, sans toutes les erreurs de celle-ci. Par ailleurs, les auteurs de manuels font clairement la distinction entre la personne croyante et l’ensemble d’idées religieuses auxquelles elle adhère : l’infériorité de l’Amérindien ne concerne que le second élément. L’Amérindien est présenté, avec une certaine compassion, comme un pauvre[39], comme une personne plongée dans l’ignorance et/ou dont les besoins spirituels ne sont pas assouvis[40]. Ce canevas de base, qui détermine la vision de la religion amérindienne – et que l’on retrouve également dans l’historiographie générale de l’époque[41] – génère une série de représentations où l’on a accentué les différences plutôt que se concentrer sur les points communs entre le christianisme et les religions amérindiennes. Pour des raisons de clarté, nous faisons une distinction entre la manière dont les manuels traitent, d’une part, le credo amérindien et, d’autre part, la morale amérindienn
Au point de vue du dogme
Bien que l’orientation interreligieuse évoquée plus haut ait été dominante et constante durant toute la période étudiée, il existe un écart quantitatif et qualitatif entre les manuels destinés à l’enseignement primaire et ceux rédigés pour l’enseignement secondaire en ce qui concerne la présentation des croyances amérindiennes. Dans les premiers, les propos sont extrêmement courts et généralisateurs[42]. Par exemple, David Gosselin écrit d’une façon lapidaire: « La religion de ces peuplades sauvages, malgré leur croyance à l’immortalité de l’âme et la notion confuse de certaines vérités, n’était qu’un paganisme grossier. Ils admettaient l’existence de deux esprits égaux en puissance: le bon et le mauvais Manitou, et de plusieurs génies subalternes auxquels ils offraient des sacrifices »[43]. Pour sa part, Louis-Onésime Gauthier ajoute, comme parallèle avec le christianisme, que les Amérindiens « conservaient des traditions plus ou moins distinctes de la création du monde et du déluge »[44].
L’explication de cette approche sommaire et superficielle est simple : dans les manuels destinés à l’enseignement primaire, on s’efforce de simplifier des matières complexes telles que le credo amérindien de manière qu’elles puissent être présentées aussi clairement que possible aux jeunes lecteurs[45]. En revanche, les manuels de l’enseignement supérieur[46] présentent un peu plus d’informations, et des informations plus nuancées, en rapport avec le plus haut niveau de développement supposé des élèves[47]. Si l’on reprend l’exemple des manuels, très utilisés, des Frères des Écoles Chrétiennes (FEC), on constate tout d’abord que le manuel destiné à l’enseignement primaire dit à propos des ‘nations indigènes’ qu’elles « diffèrent peu l’une de l’autre sur le plan des coutumes et des mœurs »[48], tandis que dans le manuel destiné à l’enseignement secondaire, ces mêmes nations sont déjà présentées de manière beaucoup moins uniformisante : « quoique distinctes, avaient cependant quelque chose de commun dans les moeurs et les usages »[49].
De plus, le manuel destiné à l’enseignement secondaire contient un nombre beaucoup plus important de détails et d’informations susceptibles d’éclaircir le propos. Dans leur manuel d’Histoire du Canada destiné aux écoles primaires, les FEC évoquent ainsi les représentations religieuses amérindiennes :
« Les sauvages adoraient le soleil et des êtres imaginaires qu’ils appelaient manitous. Ils croyaient à l’immortalité de l’âme, aux songes et surtout aux devins, qui, disait-on, étaient en communication avec les esprits. Ils professaient un grand respect pour les défunts, célébraient avec pompe les funérailles et la fête des morts »[50].
Quelques détails supplémentaires sont même indiqués en note de bas de page afin d’éclairer le contenu du texte principal. Dans le même manuel écrit pour l’enseignement secondaire, on retrouve le même texte principal -et la même note de bas de page- mais il est enrichi d’une série d’éléments essentiels à la caractérisation de la dogmatique amérindienne, de surcroît étayés par des exemples plus nombreux et plus différenciés. Ainsi peut-on lire :
« Le soleil, la lune et les étoiles étaient les divinités supérieures des sauvages. Les Algonquins considéraient le grand lièvre comme le chef des esprits et l’architecte du monde. Tous les phénomènes de la nature étaient aussi pour eux des esprits. Des génies inférieurs, appelés Manitous, présidaient à toutes les destinées de la vie. Les sauvages, qui adoraient les choses les plus bizarres, ne mirent cependant jamais leur jongleurs et leurs héros au rang des dieux. Ils offraient des sacrifices pour éviter les malheurs ou obtenir des bienfaits. Les sauvages croyaient à l’immortalité de l’âme et à un paradis de chasse toujours abondant en gibier. La voie lactée était le chemin qui conduisait à ce lieu de délices. Les aurores boréales étaient pour eux la danse des morts, et ils plaçaient la cour du grand esprit et les ombres de leurs ancêtres dans la région du sud-ouest. Les sauvages manifestaient le plus grand respect pour les morts. Pendant trois jours, les parents et les amis du défunt poussaient des gémissements et des soupirs auprès de son cercueil. Des cris lugubres se faisaient entendre, durant un mois, au lever et au coucher du soleil (…) Les sauvages n’osaient résister à la voix des songes, même aux prix des plus grands sacrifices. Les Européens abusèrent souvent de cette crédulité superstitieuse pour obtenir ce qu’ils désiraient »[51]
Ce qu’il est intéressant de souligner ici, c’est que la représentation de la « dogmatique » de l’Amérindien, par-delà une formulation en apparence neutre, est clairement commandée par un modèle interreligieux bien défini au moyen duquel on constate et souligne les compatibilités avec le christianisme (croyance en un être supérieur, reconnaissance des principes du bien et du mal, foi en une âme immortelle et dans une vie après la mort, respect des morts), même si on n’oublie pas pour autant de mentionner les incompatibilités (panthéisme, polythéisme, fétichisme, superstition). Toutefois, pour des motifs d’ordre psychopédagogique, ce modèle interreligieux est moins évident dans les manuels du niveau primaire que dans ceux destinés à l’enseignement secondaire.
La manière dont Soeur Louis-Bertrand[52] décrit la religion amérindienne dans sa volumineuse Histoire de l’Église du Canada met en lumière l’idée selon laquelle les religions amérindiennes ne sont pas toutes également inférieures à la religion chrétienne. Les religions amérindiennes qui présentent davantage de concordances avec la religion chrétienne se voient attribuer une place plus élevée dans son échelle de valeurs. La religieuse souligne des convergences frappantes entre les représentations de la foi chez certaines tribus amérindiennes qui vivaient en Acadie et à Gaspé (comme les Souriquois, les Etchémins, les Abénaquis et les Montagnais) et les croyances chrétiennes (qui, à son avis, sont sans doute le résultat d’une évangélisation précoce par des missionnaires catholiques au cours du 10e siècle). C’est ainsi par exemple que l’auteure attire particulièrement l’attention du lecteur sur quelques similitudes relatives entre la conception de Dieu chez les chrétiens et celle que possèdent les Montagnais. Les Montagnais reconnaissaient en effet trois divinités, à savoir Atahocan, le fils d’Atahocan et Messou. Pour l’auteure, ce trio de divinités est, ni plus, ni moins, l’équivalent de la trinité du catholicisme. L’auteure mentionne également la présence, dans la foi des Montagnais, d’une mère, qui ne porte pas de nom et qui ne règne pas, mais qui équivaudrait, jusqu’à un certain point, à Marie, mère de Jésus[53]. Enfin, l’auteure montre aussi comment les Souriquois, les Etchémins et les Abénaquis avaient conservé une série de pratiques en rapport avec la croix: « ils la (la croix) portaient sur leurs habits, en ornaient leurs coiffures et l’attâchent, comme un signe protecteur, au berceau de leurs enfants et à la porte de leurs cabanes »[54].
Pour bien comprendre les prémisses théologiques dont témoignent les manuels, il est nécessaire de les relier à leur contexte littéraire. Les manuels d’apologétique qui ont été utilisés dans l’enseignement de la religion catholique au Canada durant la période étudiée jouent un rôle important à cet égard, car ils donnent la description la plus complète des contours du discours interreligieux qui prévalait à l’époque. Concrètement, on part de la conception chrétienne classique de la création et du salut selon laquelle Dieu a, dans sa toute puissance, créé l’Homme et le monde. L’Homme est le chef-d’œuvre de la création dans la mesure où il a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu[55], lequel l’a doté en outre d’une soif infinie de vérité et de bonheur (instinctus fidei[56]). Suite au péché originel, l’Homme est devenu incapable d’atteindre ce bonheur et cette vérité éternelle en utilisant ses propres forces. C’est pourquoi Dieu, dans son infinie bonté, a donné à tout Homme sans distinction les moyens nécessaires pour atteindre la « plénitude » de la vérité et du salut[57]. En termes « historiques », cela s’est déroulé en trois « phases ». La révélation primitive équivaut à la révélation que Dieu a faite aux premiers Hommes dès le moment de leur création, et cette révélation a été transmise jusqu’à Moïse. La révélation à Moïse comprend toutes les révélations – via Moïse et les prophètes qui lui ont succédé – à tous les Hommes en général et au peuple hébreu en particulier. Enfin, la révélation chrétienne a trait à la doctrine enseignée par Jésus-Christ et concerne la dernière phase de la révélation divine qui, à la fois, couronne et complète les précédentes[58]. Ce qui est important dans cette vision, c’est que toutes les religions non chrétiennes sont considérées comme des mélanges de bons vestiges de la révélation divine primitive et des mauvais produits apportés par les Hommes porteurs du péché originel. Et la pierre de touche du bien et du mal est la révélation définitive et irréversible par Jésus-Christ.
Le fait que tout ce cadre théologique conditionne le traitement de l’Amérindien dans les manuels scolaires apparaît encore plus clairement lorsque l’on examine de plus près l’historiographie canadienne officielle qui a été, directement ou indirectement, à la base de la représentation présente dans ces manuels[59]. En effet, cette historiographie met encore plus fortement et plus explicitement l’accent sur le fait que la religion amérindienne est bel et bien entachée de nombreuses fautes qui sont la conséquence du péché originel, mais qu’elle comporte néanmoins un certain nombre de bons éléments. Ces bons éléments doivent néanmoins être purifiés et complétés par les lumières de la vraie foi chrétienne.
C’est ce qui ressort d’un extrait de l’Histoire du Canada de Brasseur de Bourbourg portant sur la volonté de conversion de l’Amérindien Ahastari, chef des Hurons et personnage très connu dans l’histoire du Québec : « La nature, ou plutôt les lumières de la révélation primitive avaient mis dans son esprit les semences de la foi »[60]. Une position identique est présente chez Ferland, un autre founding father de l’histoire (ecclésiastique) moderne du Québec :
« Les passions brutales et les vices dégradants auxquels il se livrait avaient obscurci et abaissé son intelligence (…) du moins dans les décrets de la miséricorde divine, il lui était dès lors permis de prendre sa place à côté des peuples chrétiens (…) par bonheur pour lui, quelques lueurs de la connaissance de Dieu se manifestaient dans les idées qu’il conservait d’une puissance bonne ou mauvaise, supérieure à celle de l’homme (…) car partout où le flambeau de la révélation s’est éteint, la pauvre raison humaine, livrée à elle-même s’est égarée dans un dédale d’erreurs et de mensonges, des qu’elle a voulu expliquer les mystères de la création »[61].
Ces quelques phrases résument toute la théologie interreligieuse de Ferland, lequel répète simplement, en d’autres termes, l’essence du paradigme interreligieux tel qu’il est présenté dans les manuels d’apologétique. Dans le cas concret du traitement de la dogmatique amérindienne, celle-ci apparaît comme un mélange de bon et de mauvais.
Le cadre restreint de cet article ne permet pas d’exposer en détail la vision qu’a Ferland des religions amérindiennes. Ne retenons qu’un seul exemple où la dogmatique de l’Amérindien est vue comme un bric-à-brac de fables et de mythes élémentaires, confus, enfantins, naïfs et souvent contradictoires, mais qui ont toutefois une certaine valeur du point de vue chrétien, du fait que les Amérindiens ont conservé l’idée de la création du monde et de l’Homme :
« Les Hurons reconnaissaient pour tige de leur nation une femme nommée Atahentsic, qui tomba du ciel par quelque accident. Comme sa chute se prolongeait, elle fut aperçue par la tortue, qui rassembla en conseil les animeaux, vivant alors tous dans l’eau, car la terre ne paraissait pas encore. Ils furent d’avis qu’il fallait plonger au fond de la mer et rapporter une motte de terre, qu’on mettra sur le dos de la tortue. On confia cette mission au castor , et le fidèle animal la remplit convenablement. En se grossissant, la motte forma une île, sur laquelle la femme tomba mollement. Quelque temps après sa chute Atahentsic mit au monde une fille, qui elle-même devint mère de deux fils, Tawiscaron, et Jouskeha. Ayant grandi, il s’attaquèrent l’un l’autre; Jouskeha tua son frère, et fut le père des Hurons. Il est aujourd’hui le soleil, et Atahentsic est devenu la lune. A Jouskeha les hommes doivent l’art de faire du feu, art que lui-même avait appris de la tortue (…) Telle était à peu près toute leur théologie, et encore plusieurs articles étaient grandement controversés; car les circonstances de la chute d’Atahentsic étaient rapportées de bien des manières, et quelquefois Jouskeha, au lieu d’être le soleil, se voyait remplacé comme tel par Areskoué, dieu de la guerre (…) Ces récits de la création du monde et de l’origine de l’homme, quelque extravagants qu’ils puissent paraître, sont aussi raisonnables que les fables débités sur les mêmes sujets, par les peuples civilisés de l’ancienne Grèce et de la vieille Italie (…) »[62] .
De fait, tout ce que les manuels considèrent comme positif ou négatif dans la dogmatique amérindienne se retrouve, sans exception, chez Ferland. Celui-ci présente toutefois un plus grand nombre d’exemples et d’explications. Il rappelle également d’autres bons points de la dogmatique amérindienne : la croyance en un grand esprit ou maître de vie, la reconnaissance d’une âme humaine, la vie après la mort (le village des morts) et le grand respect des défunts qui en découle. À l’inverse, il range parmi les aspects les plus négatifs le panthéisme, le polythéisme et la superstition[63].
Lorsque l’on compare entre elles les différentes grandes histoires du Canada, on s’aperçoit que cette matrice inclusiviste est, en principe, toujours présente. Il existe toutefois un certain nombre de particularités, des nuances entre les manuels. Si l’on compare par exemple Garneau et Ferland, on constate premièrement que la généralisation est clairement plus marquée chez le premier, qui prétend observer de fortes ressemblances en matière de religion, de mœurs et de coutumes[64]. En revanche, Ferland brosse un tableau plus diversifié[65], notamment en présentant le Huron comme quelqu’un de très intelligent mais de borné au niveau spirituel[66], et en dépeignant l’Algonquin comme le peuple le plus noble, mais qui a été le plus facile à convertir au christianisme[67]. Deuxièmement, les descriptions des Amérindiens sont davantage liées à des explications et à des cadres d’interprétation purement religieux chez Ferland que chez Garneau, lequel désirait, comme on l’a déjà souligné, pratiquer une historiographie un peu plus laïcisée, du moins en théorie. En troisième lieu, on voit apparaître çà et là chez Ferland les traces d’un relativisme culturel modéré en matière de religion, notamment dans sa description de la croyance superstitieuse des Amérindiens dans le fait que les rêves ont valeur de vérité : « Parmi les peuples civilisés, cette pratique aurait pu produire de mauvais effets: mais les idées reçues chez les sauvages sur la sainteté des songes les empêchait ordinairement d’en abuser. D’ailleurs, si quelqu’un avait été tenté d’en faire un usage fréquent et dangereux pour l’état ou pour les individus, il y avait un remède assuré: tout autre était autorisé à avoir des songes contraires, qui détruisaient les effets des premiers »[68].
Chez Garneau, le paradigme interculturel considéré apparaît entre autres dans son esquisse globale et rapide de l’Amérindien : « À venir jusqu’à il y a trois siècles environ, une ignorance superstitieuse obscurcissait et paralysait l’intelligence des peuples (…) ils ignoraient également la cause de la plupart des phénomènes naturels qui les ravissaient d’admiration ou les remplissaient de crainte (…) le chimiste passait pour un devin ou un sorcier, et souvent il finissait par se croire lui-même inspiré par des esprits »[69]. Ou encore : « Son intelligence n’était point formée à l’analyse, il avait peu d’idées complexes et de conceptions purement mentales »[70]. À cet égard, Garneau semble plutôt adhérer, consciemment ou inconsciemment, à l’idée de ‘participation mystique’, une idée liée à l’évolutionnisme culturel connue en anthropologie, et dont le principe fut formulé, entre autres, par Lucien Lévy-Bruhl[71]. Celui-ci opposait une manière rationnelle de penser, moderne et logique, à un mode de pensée primitif prélogique basé sur une perception mystique de la réalité. Selon lui, l’Homme moderne possédait une tradition séculaire de recherche scientifique et désirait trouver des explications naturelles aux phénomènes qui l’entourent. L’Homme primitif, en revanche, ne possédait pas cette longue tradition et donnait des explications prélogiques ou mystiques à la réalité, ne faisant en cela aucune distinction entre une dimension naturelle et une dimension surnaturelle. Le terme mystique renvoie donc ici à l’irrationalité. À la fin de son argumentation, Garneau nuance toutefois son propos, allant jusqu’à se contredire, en plaçant les capacités intellectuelles intrinsèques de l’Amérindien sur le même pied que celles de l’Européen[72].
Au point de vue de la morale
Quantitativement parlant, la majorité des manuels accordent plus d’attention à la morale amérindienne qu’à la dogmatique. Cela est peut-être dû à la nature même des religions amérindiennes, qui n’apparaissent pas tant comme des systèmes dogmatiques aux contours bien nets que comme des modèles de comportement pratiques[73]. Mais les auteurs de manuels n’utilisent pas tous la même définition de la morale. Certains interprètent la morale au sens strict comme un corpus bien délimité de règles de comportement d’inspiration religieuse, tandis que d’autres utilisent le terme au sens large pour décrire l’ensemble des modes de comportement (y compris les traits dits caractériels) de l’aborigène amérindien. Pour éviter toute confusion, nous avons regroupé ici, sous le vocable morale, tout ce qui rentre dans le cadre de cette définition large.
Quoi qu’il en soit, la manière dont la morale de l’Indien est présentée est encore une fois, et dans tous les cas, conforme à l’image simpliste projetée sur la religion et la culture amérindiennes, avec son mélange de bien et de mal. Dans la plupart des manuels destinés à l’enseignement primaire, sauf dans celui des FEC, qui assez curieusement n’aborde pas cette thématique, cette vision débouche sur une présentation stéréotypée du code de conduite amérindien, une présentation qui souligne davantage les mauvais côtés que les bons. Si l’on fait abstraction des différences linguistiques et formelles entre manuels, on remarque que l’Amérindien est généralement présenté sous un jour positif : accueillant, doux en temps de paix, intelligent, réfléchi et intrépide. Ceci dit, ce portrait est aussitôt assorti de facettes de la morale amérindienne que les auteurs estiment négatives et pour lesquelles ils forcent volontiers le trait. Les aspects les plus souvent cités sont la cruauté de l’Amérindien en temps de guerre (un trait principalement attribué aux Iroquois, alliés de l’ennemi britannique), le cannibalisme, la polygamie et le statut inférieur de la femme[74]. Deux exemples peuvent l’illustrer. Lisons d’abord Toussaint : « Assez doux dans la paix, ils étaient d’une cruauté révoltante dans leurs expéditions guerrières, faisant souffrir à leurs prisonniers les tourments les plus affreux, et poussant la barbarie jusqu’à manger la chair sanglante de leurs victimes »[75]. Et chez Provancher, on peut lire : « D’un caractère généralement doux, ils devenaient cruels et féroces dans la guerre, jusqu’à faire souffrir à leurs prisonniers les tourments les plus horribles (…) Ils pratiquaient la polygamie, et tenaient leurs femmes à peu près sur le pied de l’esclavage, bien que d’ordinaire ils leur épargnassent les mauvais traitements »[76].
H.H. Miles enrichit le portrait de l’Amérindien en y ajoutant quelques éléments positifs et négatifs supplémentaires. Parmi les manquements moraux cités figure notamment le désir de vengeance[77], ce qui n’empêche pas l’auteur – c’est vrai également pour le manuel des Clercs de Saint-Viateur[78] – de qualifier l’autochtone de vaillant et de courageux : « ils enduraient la fatigue, la faim, le froid, les douleurs corporelles sans sourciller, ni se plaindre. Même au milieu des tourments que leurs ennemis leur faisaient souffrir, ils dédaignaient de laisser échapper d’autres cris que des cris de défi. Au fait, ils se glorifiaient de montrer qu’ils étaient inaccessibles à la souffrance »[79].
Le paradigme interreligieux qui s’exprime dans les manuels destinés à l’enseignement secondaire rejoint celui que l’on trouve dans les manuels du primaire même si la présence d’un plus grand nombre d’informations et d’explications fait encore davantage ressortir ce paradigme[80]. Dans son manuel, Histoire de l’Église du Canada, Sœur Louis-Bertrand indique de manière très explicite quelles prémisses interreligieuses ont façonné sa représentation de l’ethos amérindien : « La religion produisit un changement étonnant chez les indigènes; elle corrigea et adoucit ce qu’il y avait de dur et de farouche dans leur caractère et développa les bons côtés de leur nature inculte »[81]. Autrement dit, il y a clairement du bon dans le code de conduite de l’Amérindien, mais il comporte également de nombreuses impuretés. Et les normes éthiques élevées que seule la religion chrétienne possède sont utilisées pour jauger la valeur de l’éthique amérindienne.
Les manuels destinés à l’enseignement secondaire offrent toutefois une image beaucoup moins uniforme de la morale amérindienne. Dans certains livres, le rapport entre les points communs et les différences est clairement défavorable à l’éthique amérindienne[82]. Le manuel de Farley et Lamarche fait ici figure d’exemple. Selon ces auteurs, le sauvage possédait « certaines qualités peu profondes » qui le firent néanmoins apprécier chez les Blancs : « Il (l’Amérindien) endurait volontiers les privations, le froid, la faim; devant la mort il manifestait souvent un courage digne d’admiration. Il exerçait l’hospitalité de la manière la plus cordiale. Il se montrait sensible aux misères et aux souffrances de ses voisins; il leur offrait volontiers les secours de ses propres biens »[83]. Ces deux auteurs n’ont toutefois guère d’estime pour la morale amérindienne dans son ensemble, comme le révèle cet extrait :
« Mais ces qualités ne pouvaient faire oublier les défauts les plus graves. Le sauvage était en effet d’un orgueil sans bornes. Il se croyait nettement supérieur aux blancs et cette disposition d’esprit l’empêcha souvent d’accepter la civilisation et l’Évangile; entre nations indigènes, les rivalités d’orgueil et d’ambition furent une cause habituelle de graves désaccords. Le sauvage était en outre vindicatif. Il pouvait poursuivre une vengeance toute sa vie et souvent les vengeances particulières entraînaient des guerres interminables entre les diverses nations. Le sauvage était sensuel. Il se livrait facilement à la débauche. Son goût pour les boissons alcooliques fut encore un des principaux obstacles à l’action des missionnaires. Enfin, il était sans force morale, sans caractère; à la guerre, devant un ennemi un peu supérieur en nombre, il faisait souvent la plus triste figure »[84].
Farley et Lamarche tracent un portrait peu reluisant de la morale amérindienne : le sauvage est libertin (« On élevait les enfants dans une grande liberté. Le vice de l’éducation indienne était plutôt la faiblesse et la négligence que la trop grande sévérité ») ; le sauvage est aussi belliqueux (« Il existait chez les sauvages une véritable passion pour la guerre […]Aussi certaines tribus étaient-elle presque continuellement en guerre » ; le sauvage est barbare (« À la guerre, le sauvage était sans merci. Notre histoire est pleine de ces récits effrayants où l’on voit l’Indien vainqueur torturer son prisonnier jusqu’à la mort. Plus d’une fois les chefs blancs furent incapables d’empêcher leur alliés d’exercer les cruautés les plus barbares sur leur ennemis vaincus ») ; le sauvage est également débauché (« L’unité du mariage n’était de règle dans aucune tribu. Le sauvage avait souvent plusieurs femmes qu’il gardait ensemble auprès de lui. Il était généralement facile de rompre le mariage, tant du côté de la femme que du côté de l’homme. Aussi les divorces étaient-ils très nombreux ») ; autre caractéristique du sauvage: il est peu fiable (« la mauvaise foi régnait habituellement dans la négociation des traités […] De même, le traité une fois conclu, il était impossible de se fier à la parole donnée. Sous les prétextes les plus futiles, la paix était rompue sans scrupule »[85]).
La manière dont Sœur Louis-Bertrand traite des mœurs amérindiennes rejoint dans les grandes lignes les propos de Farley et Lamarche. Elle fait néanmoins preuve çà et là d’un peu plus de nuance. C’est ainsi par exemple qu’à l’instar d’autres auteurs de manuels[86], elle tempère quelque peu la cruauté supposée de l’Amérindien en temps de guerre en ajoutant que les prisonniers de guerre ne sont pas tous morts des suites de supplices cruels et que certains ont été adoptés par la nation indienne et traités avec les mêmes égards que ses propres sujets[87]. Sœur Louis-Bertrand est toutefois la seule – le fait d’être une femme n’y est sans doute pas étranger – à consacrer un chapitre spécial à la place de la femme dans la société amérindienne. « Chez ces peuples, écrit-elle, – comme partout où l’Évangile n’a pas adouci les mœurs par son influence, – la femme était asservie aux caprices de son seigneur et maître »[88]. Sa perception de la position inférieure de la femme dans le mode de vie amérindien apparaît surtout dans le passage suivant : « C’est elle qui accomplissait les plus pénibles travaux des champs, subvenait aux besoins de la famille dans les wigwams, tressait les nattes, faisait les vêtements et dans les fréquents voyages, portait la tente sur son dos, pendant que le mari se livrait aux plaisirs de la chasse et de la pêche, aux horreurs de la guerre, ou passait ses jours en paresse »[89]. Toutefois, l’auteure nuance ce jugement, notamment lorsqu’elle concède que les enfants n’acceptaient que l’autorité de la mère, et que le père était considéré comme un invité dont la présence dans la hutte n’était que tolérée[90].
Sœur Louis-Bertrand souligne également la force de l’amour que les parents, surtout la mère, témoignent à l’égard de leurs enfants. Elle s’exprime en termes quasi lyriques à ce sujet : « Chez elle ou à l’étranger, elle ne se séparait jamais de son nourrisson. Quand elle voyageait, elle le plaçait sur ses épaules dans son berceau d’écorce ; ainsi chargée, elle allait gaiement: l’amour allégeait son fardeau. Si elle travaillait au champ, elle le déposait à ses pieds, sur l’herbe, parmi les fleurs, ou elle le suspendait aux branches d’un arbre; mais jamais elle ne le confiait aux soins étrangers »[91]. Ce style romancé, si caractéristique de nombreux manuels de cette époque, n’empêche toutefois pas l’auteure de mentionner également que cet amour particulier des parents amérindiens pour leurs enfants constitue un obstacle à la formation et à la scolarisation des jeunes Amérindiens, vu que les parents ne pouvaient supporter d’être longtemps séparés de leurs enfants.
Dans leur manuel destiné à l’enseignement secondaire, les FEC introduisent un certain nombre d’éléments nouveaux relatifs aux mœurs et aux usages des Amérindiens. Ils jugement positivement le respect à l’égard des anciens de la nation indienne et celui des enfants vis-à-vis de leurs parents (« L’autorité des parents sur leurs enfants s’accroissait avec l’âge […] la rébellion d’un fils contre sa mère passait pour un crime affreux »[92]). Les mêmes auteurs condamnent des pratiques telles que les sacrifices humains et le cannibalisme, retrouvées surtout chez les Indiens d’Amérique du Sud mais également chez les Inuit qui eux non plus ne reculaient pas devant l’anthropophagie, même si ce n’était que dans des cas extrêmes[93]. À l’instar de Farley et Lamarche et de Soeur Louis-Bertrand, ils attribuent surtout aux Iroquois le caractère douteux et le barbarisme des Amérindiens. Ce qui ne les empêche pas de dépeindre la race iroquoise comme la plus intelligente, laborieuse et ingénieuse de toutes les races amérindiennes[94]. De plus, ils excusent partiellement le caractère belliqueux de l’Amérindien : « Les sauvages ne faisaient la guerre que pour se venger d’insultes reçues; ce n’était qu’après maintes délibérations du conseil, auxquelles assistaient les vieillards, que la hache de guerre était levée »[95].
Desrosiers et Bertrand s’efforcent de briser une série de stéréotypes profondément enracinés concernant le code moral des Amérindiens. Ils présentent d’abord la vision la plus équilibrée de la situation de la femme amérindienne. Tout en ne niant pas l’infériorité statutaire de la femme dans la société amérindienne, ils s’en prennent néanmoins à l’idée communément admise selon laquelle elle serait une sorte d’esclave. Selon eux, il est plus exactement question d’une stricte division des tâches entre l’homme et la femme, le premier étant chargé de fabriquer les armes et tout le nécessaire pour la chasse et la pêche (ainsi que les calumets et les canots), tandis que la seconde devait fabriquer le matériel nécessaire au ménage, tanner les peaux et confectionner les vêtements[96]. Ils soulignaient en outre que l’entretien du wigwam, autre tâche confiée à la femme, ne représentait pas une charge très lourde et que l’éducation des enfants n’était pas non plus si exigeante, vu que les enfants étaient rapidement livrés à eux-mêmes. Outre le fait, déjà relevé par Sœur Louis-Bertrand, que la femme régnait seule sur le wigwam, Desrosiers et Bertrand ajoutent que, dans certaines tribus, l’autorité de la femme était supérieure à celle de l’homme, étant donné que c’était à elle que revenait la décision finale dans plusieurs domaines importants de la vie domestique et de la politique générale de la tribu[97].
Deuxièmement, Desrosiers et Bertrand indiquent clairement au lecteur que le caractère prétendument belliqueux et cruel de l’Amérindien ne peut s’appliquer de la même manière à toutes les tribus indiennes. Sans dissimuler la barbarie de l’Amérindien et sa passion pour la guerre en général, ils expliquent que certains peuples, notamment les Cris[98], étaient plus pacifiques. Des comportements variables existaient :
« Dans l’est, le captif est torturé à mort, ou adopté par le vainqueur (…) À la suite de la guerre huro-iroquoise, des villages entiers se donnèrent aux Iroquois et furent incorporés en masse. Dans les Prairies, la torture est presque inconnue: on tue les guerriers, mais les enfants sont régulièrement adoptés ou soumis à une douce captivité. Sur la côte du Pacifique et dans l’extrême nord, un dur esclavage est le partage des vaincus »[99].
Il reste que ces auteurs dressent un portrait plutôt négatif de l’Amérindien qui « ne possède pas ce stoïcisme farouche ni cette ingénuité que certains auteurs lui attribuent »[100]. Plus spécifiquement, ils reprochent à l’Amérindien un manque de persévérance, d’ambition et de particularisme, ce qui l’empêche de s’extraire de sa situation critique et de prendre pied dans la nouvelle constellation politique engendrée par la colonisation. Ceci montre parfaitement comment l’élimination de certains préjugés peut donner lieu à l’émergence de nouveaux préjugés qui en sont pratiquement l’image miroir.
Le manuel de Rutché et Forget fait figure d’exception à double titre. D’une part, parce qu’il ne comporte pas de chapitre distinct consacré à la morale amérindienne et, d’autre part, parce qu’on y trouve l’image la plus favorable aux Amérindiens à travers les paroles que prononce Louis Hébert sur son lit de mort : « C’est à grand tort qu’on dit d’eux que ce sont des bestes, gens cruels et sans raisons: ils parlent avec beaucoup de jugement … je puis assurer qu’ils ont autant d’humanité et plus d’hospitalité que nous […] J’ai passé les mers pour venir secourir les sauvages […] Ils sont des créatures raisonnables comme nous »[101].
À l’autre bout du spectre, on trouve l’Abrégé de l’histoire du Canada, manuel de Garneau, qui présente l’image la plus négative de l’éthique amérindienne. Si nous abordons ce manuel en dernier lieu, ce n’est pas tant en raison de cette image défavorable que pour montrer dans quelle mesure les manuels sont dépendants de la grande historiographie environnante et dans quelle mesure également les auteurs de manuels filtrent les informations qu’ils en extraient. Dans son manuel, Garneau dépeint le « naturel du pays » canadien comme un sauvage barbare et sanguinaire :
« Il (l’indien) aimait le tumulte des combats; la vue d’ennemis palpitants dans le sang enivrait son cœur de joie (…) Les sauvages tuaient ceux qu’ils ne pouvaient emmener, leur levaient la chevelure, et se retiraient précipitamment. Les prisonniers qui n’étaient pas adoptés, mourraient au milieu des tourments les plus affreux, qui duraient souvent plusieurs jours. On les brûlait, on les déchirait, on les faisait périr en lambeaux »[102].
Cette citation de Garneau constitue une paraphrase fidèle bien qu’assez négative de sa grande Histoire du Canada, destinée à un public adulte :
« Le seul mot de guerre excitait chez les jeunes sauvages un frémissement plein de délices, venant d’un profond enthousiasme. Le bruit de la mêlée, la vue d’ennemis palpitants dans le sang, les enivraient de joie. L’imagination sans cesse enflammée par le récit des exploits de leurs ancêtres, ils brûlaient de se distinguer comme eux dans les combats. Quoique les causes de guerre fussent peu nombreuses chez ces peuples, les guerres étaient fréquentes (…) Mais quand par hasard une nation ne voulait pas avoir la guerre, elle devait satisfaire la nation avec laquelle elle se trouvait en difficulté (…) Ils ne s’attaquaient que par surprise, tuaient ceux qu’ils ne pouvaient emmener; et leur enlevaient la chevelure (…) S’ils étaient trop pressés, ils égorgeaient les prisonniers et chacun se dispersait; sinon ceux-ci étaient gardés avec soin et attachés la nuit (…) On faisait passer les prisonniers entre deux files d’hommes qui les frappaient avec des bâtons. Ceux qui étaient destinés à la mort étaient livrés aux chef de guerre, les autres au chef de la tribu. Les premiers, attachés à des poteaux, voyaient alors commencer leur supplice, qui se prolongeait quelque fois plusieurs jours. C’est là que le sauvage déployait son héroïsme, et qu’il bravait la cruauté de ses bourreaux. Il se faisait une gloire de ses tourments, vantait ses victoires, comptait les chevelures qu’il avait enlevées, disait comment il avait traité ses prisonniers, et reprochait à ses bourreaux de ne pas savoir torturer (…) Les plus affreux tourments étaient réservés pour les chefs; les simples guerriers étaient brûlés, ou quelquefois épargnés pour servir d’esclaves. Les missionnaires français firent tout ce qu’ils purent pour faire adopter aux sauvages un usage plus humain (…) Les prisonniers qui avaient été livrés au chef de la nation, étaient destinés à remplacer les guerriers tués sur le champ de la bataille. Ils étaient adoptés par la famille des morts, et elles leur témoignaient tous les égards et toute la tendresse qu’elles avaient eus pour ceux dont ils tenaient la place »[103].
Cette comparaison montre l’intention de Garneau de présenter à l’élève une image essentiellement négative de l’éthique amérindienne. En raison des limites imposées au genre, il est rapidement tombé dans des énoncés plus simplistes[104]. On se rend notamment compte à quel point cette intention exacerbe le côté stéréotypé de la description qu’il donne de l’Amérindien dans le chapitre qui lui est spécifiquement consacré lorsque, ailleurs dans le manuel et dans un autre contexte, il s’exprime, de façon assez paradoxale, en des termes nettement moins tranchés. Ailleurs en effet, il ne parvient à dire que du bien de la tribu des Micmac: « ils (les Micmacs) étaient très braves et avaient des mœurs fort douces. Ils ont toujours accueilli les Français avec une bienveillance qui ne s’est jamais démentie »[105]. On remarque, une fois encore, que les rapports plus ou moins fructueux avec le colonisateur français jouent un rôle déterminant dans la représentation. On sait notamment, grâce aux récits de voyage de l’historien jésuite Charlevoix, où Garneau a puisé de nombreuses informations, que les Indiens Micmac avaient parfois un comportement à l’égard des femmes qui était loin d’être tendre[106].
Il convient ici de faire remarquer que, du point de vue de la langue utilisée et des exemples choisis, la majorité des manuels se rattachent plutôt à la tradition historiographique incarnée par Ferland. Toutes les convergences et tous les points communs que présente la morale amérindienne avec le christianisme, qu’avait dégagés Ferland dans Histoire du Canada, se retrouvent dans les manuels. En guise de preuve, voici un passage écrit par Sœur Louis-Bertrand sur la femme : « Parmi les indiens du nord de l’Amérique, le femme, en général [qui] était considérée comme un être inférieur, était, par une étrange contradiction, unique maîtresse des enfants. Ceux-ci ne reconnaissaient que sa seule autorité, considérant leur père comme un hôte auquel on permettait d’occuper une place dans la cabane »[107]. Si l’on compare ce passage à celui qui en est le pendant chez Ferland, la similitude apparaît de manière frappante : « En général, chez les nations de l’Amérique du Nord, les femmes étaient considérées comme des êtres d’un ordre inférieur et créées pour servir aux fantaisies de l’homme; cependant, par une bizarrerie remarquable, les enfants appartenaient à la mère et ne reconnaissaient que son autorité, tandis qu’ils considéraient le père comme un étranger, qui tenait une place dans la cabane »[108].
Il faut toutefois noter que, pris globalement, les passages parallèles des manuels concernés sont beaucoup plus teintés de clichés que le texte source de Ferland auquel ils se rapportent. Un exemple suffira pour illustrer cette différence. Concernant le soi-disant Amérindien débauché sur le plan de l’éthique conjugale, que présentent Farley et Lamarche, on trouve ces lignes chez Ferland :
« Les mariages sans être regardés comme indissolubles, se brisaient difficilement chez quelques nations. Ainsi, parmi les Outaouais, le mari ne répudiait sa femme que pour des très graves raisons; autrement il s’exposait à des avanies sérieuses (…) Quant à la femme, elle ne devait point de son chef, abandonner son mari, parce que celui-ci, l’ayant achetée et payée, en était ainsi le maître. Parmi les Mahingans, les Iroquois et plusieurs autres peuples, le lien conjugal se brisait suivant le caprice de l’homme ou de la femme. Il se trouvaient par exception des époux qui s’aimaient sincèrement et demeuraient pendant toute leur vie attachés l’un à l’autre; mais la plupart des jeunes gens, s’unissaient avec l’intention de se séparer au bout de quelques années. Il arrivait même assez souvent qu’un homme prenait une femme pour un voyage de chasse (…) Beaucoup d’entre eux, partant pour quelque mois laissaient l’épouse principale chargée du soin de la cabane, et menaient avec eux des femmes engagées pour la durée de l’expédition. Un homme avait assez souvent deux ou trois épouses (…) »[109].
En somme, le « texte de base » de Ferland est empreint d’une diversité beaucoup plus grande, tandis que ceux qui s’en sont inspiré ont le plus souvent tendance à noircir davantage le tableau.
La comparaison entre les manuels et l’historiographie canadienne officielle montre avant tout la présence d’un même paradigme inclusiviste. Ceci dit, la confrontation entre Ferland et Garneau fait apparaître trois autres différences importantes. Bien que les deux auteurs considèrent la morale amérindienne comme un mélange de vice et de vertu, les critères de la morale chrétienne étant érigés en norme, Ferland fait une nouvelle fois apparaître son approche religieuse de manière beaucoup plus explicite en habillant son discours de références franches au paradigme en question comme l’illustre ce passage: « Aussi lorsque, arrivé à l’âge viril, il était complètement formé, au moral comme au physique, le sauvage présentait dans la vie une étrange combinaison de bonnes et de mauvaises qualités (…) le christianisme, lorsqu’ils l’adoptaient sincèrement, les rendait des hommes tous différents, et sur cette manière et sur beaucoup d’autres »[110].
Deuxième différence : Garneau a nettement plus tendance à généraliser, tandis que Ferland adopte assez souvent une vision plus nuancée, y compris dans le domaine de la morale. L’illustration la plus claire de cette différence, c’est que Garneau met bon nombre d’éléments de la morale amérindienne en lien avec le mode de vie nomade, un mode de vie qu’il juge moins civilisé et qui est selon lui caractéristique de toutes les tribus indiennes au Canada[111]. On a donc une nouvelle fois affaire à une sorte d’évolutionnisme culturel, selon lequel la civilisation amérindienne nomade est rattachée au plus bas niveau de l’histoire du développement des sociétés humaines. Ferland, en revanche, indique sans détours que la plupart des tribus (surtout les Hurons-Iroquois) doivent être considérées comme sédentaires ou semi-sédentaires et sont composées de cultivateurs très « intelligents » et moins belliqueux[112]. Contrairement à Garneau, Ferland ne veut manifestement pas introduire de gradation morale entre le nomadisme (mode de vie typique entre autres des Algonquins) et la civilisation (semi-)sédentaire d’autres peuples comme, par exemple, les Hurons. Selon lui, si les Algonquins nomades étaient certes un peu moins intelligents et inventifs que les Hurons, ils étaient par contre les plus nobles et en tout cas plus loyaux, moins enclins au vol et moins libertins que les Hurons-Iroquois[113]. On trouve ainsi chez Ferland les traces d’un certain relativisme culturel. De ces deux différences entre Garneau et Ferland découle presque automatiquement une troisième : chez Ferland, l’attitude globale envers l’éthique amérindienne est un peu moins négative que chez Garneau.
Religion et civilisation
Comme nous l’avons déjà brièvement laissé entendre lors de l’évocation de la matrice historiographique des manuels et de la grande littérature consacrée à l’histoire (ecclésiale) du Québec, l’évangélisation et l’apport de la civilisation sont pratiquement assimilés l’une à l’autre[114]. Ce que les auteurs de manuels considèrent comme civilisation devient la vraie civilisation ou la civilisation supérieure, tandis que la civilisation amérindienne – terme plutôt ambigu dans ce contexte, vu que la plupart des auteurs de manuels ne l’utilisent même pas pour désigner la société amérindienne – est qualifiée de barbare[115] et donc considérée comme inférieure.
À la lumière de cette recherche de la conception interreligieuse, se pose à présent la question du rapport entre la religion et la culture. De même, à la lumière de la comparaison avec la représentation de l’islam dans la société belge, se pose la question de l’éventuel impact de l’évolutionnisme culturel sur cette représentation. La réponse à ces questions n’est pas univoque. Tout d’abord parce que les auteurs de manuels, pas plus que ceux des grandes synthèses historiques, n’indiquent clairement ce qu’ils entendent précisément par civilisation. Pour les uns, la civilisation est explicitement liée à la chrétienté[116], tandis que pour les autres, le terme renvoie surtout au mode de vie français[117]. Un coin du voile est sans doute levé par certains manuels dont les auteurs prétendent qu’il existe une différence frappante de degré de civilisation entre l’Amérindien d’Amérique du Nord et l’Amérindien du Mexique ou du Pérou. Lisons P.-F. Bourgeois :
« Au commencement du seizième siècle, les sauvages de l’Amérique du Sud ont une civilisation relativement avancée. On voit par leurs temples et leurs palais qu’ils ont des notions d’architecture et de sculpture. Ils ont une système régulier de gouvernement: ils entendent bien l’agriculture, l’art d’exploiter les mines et celui de travailler les métaux. En outre, ils possèdent un code complet de lois civiles et religieuses. Mais, chez les Mexicains, quelques-unes de ces lois étaient cruelles et parfois sanguinaires. Ainsi un auteur mexicain estime à plus de cent mille le nombre des victimes humaines qu’on immola, en 1447, lors de la grande dédicace du temple édifié en l’honneur du démon de la guerre (…) Quant aux sauvages de l’Amérique du Nord, leur éducation se bornait aux arts de la guerre, de la chasse et de la pêche. Ils n’avaient pas de gouvernement régulièrement établi »[118].
Dans leur manuel, les FEC utilisent une trame identique et qualifient les civilisations péruvienne et mexicaine de demi-civilisations. On peut lire en effet :
« Les fils des nobles, y compris ceux de caciques, devaient fréquenter les écoles publiques ouvertes dans toutes les villes. Le routier devait s’en tenir à son métier. Les rites et les cérémonies du culte, la morale la politique, l’astronomie, la musique, la poésie et l’art militaire étaient enseignés dans ces écoles dirigées par les Incas. Les Mexicains transmettaient les faits au moyen d’une peinture hiéroglyphyque assez grossière; les Péruviens le faisaient au moyen de petites cordes de plusieurs couleurs (…) »[119].
Chez les Frères Maristes, on retrouve également des propos d’une importance capitale pour comprendre la juste portée de ces descriptions porteuses d’une conception de la civilisation. Dans leur manuel, on lit en effet que « la religion catholique transforma ces peuples et en fit d’admirables chrétiens »[120].
On peut déduire de tout cela que la plupart des auteurs donnent au concept de civilisation une double signification. D’une part, le terme renvoie à la situation externe de l’Homme telle qu’elle s’exprime dans les phénomènes sociaux et politiques (rapports avec la famille, l’État, etc.), les conditions matérielles soumises à des variables technologiques, industrielles et économiques, et également les manifestations purement culturelles (arts, lettres, sciences, etc.). D’autre part, la civilisation semble faire référence à la situation principalement interne et à l’élévation de l’Homme telle qu’elle se manifeste dans la religion, la morale et les croyances. Chez les auteurs, ces deux aspects ne vont pas toujours de pair. Chez eux, ce qui prime clairement, c’est la civilisation en tant qu’élévation de la condition de l’Homme, élévation qui ne peut être accomplie dans sa forme la plus parfaite que par le christianisme. Et cette civilisation interne doit, en quelque sorte, déboucher automatiquement, dans un second temps, sur l’élévation de la situation matérielle externe de l’Homme. Dans leur conception, le schéma inverse n’est manifestement pas possible.
Cette idée des auteurs de manuels, selon laquelle la civilisation chrétienne interne et la culture externe ne coïncident pas toujours et que la première prime sur la seconde, trouve son expression la plus parfaite dans certains propos de Sœur Louis-Bertrand, notamment quand elle écrit qu’en dépit de toutes les difficultés que l’on rencontre pour instruire les sauvages, la tentative d’évangélisation de l’Amérindien par les missionnaires « vit bientôt germer une abondante moisson de chrétiens (…) l’homme sauvage devint l’émule de l’homme civilisé, dans la pratique de la foi et des vertus évangéliques »[121]. Dans le même ordre d’idées, certains manuels opposent le sauvage chrétien[122] – une appellation déjà révélatrice en soi, du fait qu’elle présuppose une différence avec le sauvage barbare – , lequel, selon des critères externes, serait peu civilisé, avec l’Homme blanc chrétien, prétendument hautement civilisé, mais dont le comportement ne saurait que très difficilement être qualifié d’évangélique[123]. Cette relativisation du lien entre la religion et la culture dans la notion de civilisation chez les auteurs de manuels est doublée, dans le manuel des FEC destiné à l’enseignement secondaire, d’une dimension universaliste : l’unité fondamentale de chaque être humain y est affirmée dans les termes suivants : « l’obscurité de leur (les Amérindiens) origine (…) ne contredit en rien l’unité de la race humaine »[124].
Chez Ferland, sur lequel s’appuient la plupart des auteurs de manuels, on trouve également une double conception de la civilisation, de même qu’une perspective universaliste. Bien qu’il soit convaincu que le christianisme implique également une véritable civilisation matérielle et intellectuelle, il place néanmoins clairement la civilisation chrétienne interne à l’avant-plan et il indique on ne peut plus clairement que la civilisation interne et la culture externe sont loin d’aller de pair. C’est ainsi, par exemple, qu’il fustige la culture occidentale de la manière suivante : « malheureusement, dans leur commerce avec les Européens, les sauvages de l’Acadie prirent beaucoup des vices des peuples civilisés »[125]. D’autre part, il souligne qu’un certain nombre d’usages de ces « barbares a été introduit avec succès chez les peuples civilisés »[126]. En ce qui concerne l’universalisme, on trouve au début de l’ouvrage de Ferland les propos éloquents suivants : « L’écriture sainte, en effet, nous apprend que le genre humain tire son origine d’un seul homme et d’une seule femme, que la main du créateur plaça dans le jardin d’Eden. La science, après de longues recherches, a fini par reconnaître que l’homme blanc, l’homme noir et l’homme rouge appartiennent à la même famille. « ‘Unité’ », dit Flourens, « ‘unité’ absolue de l’espèce humaine et variété des races : tel est, en dernier résultat, la conclusion générale et certaine de tous les faits acquis sur l’histoire naturelle de l’homme »[127].
Chez Garneau, qui veut se distancier de convictions religieuses par trop évidentes, on ne retrouve pas cette double conception de la civilisation, du moins telle qu’énoncée par Ferland. Ce qui est clair, par contre, comme nous l’avons déjà évoqué, c’est qu’il rattache la culture nomade de l’Amérindien, dans tous ses aspects (notamment religieux), au niveau le plus bas de l’histoire des sociétés humaines, un niveau caractérisé par la simplification et peu de complexité et de développement; caractérisé, en un mot, par le vagabondage[128]. De manière tout aussi claire, il place la civilisation industrialisée occidentale et moderne sur le plus haut barreau de l’échelle de l’évolution, et présente parfois le rapport entre les deux cultures sous l’angle d’une opposition radicale. Il décrit par exemple la période de la Nouvelle-France comme une « lutte sanglante entre la civilisation et la barbarie »[129]. Ceci dit, cette conception ne débouche pas, chez Garneau, sur du racisme. On l’a vu plus haut, Garneau considère que l’Amérindien dispose intrinsèquement des mêmes capacités intellectuelles que l’Européen. On peut résumer la position interreligieuse de Garneau comme suit : d’une part, il propage l’unité et l’égalité fondamentales des Hommes en ce qui concerne leurs capacités intellectuelles innées. D’autre part, il souligne fortement la distinction existant entre les cultures primitives et modernes selon leur degré de spécialisation et de différenciation, et cela, à tous les niveaux. Il se distingue de la sorte de la conception interculturelle de Ferland, laquelle, en mettant plus fortement l’accent sur la religion chrétienne, en tant qu’élément qui transcende toutes les cultures, a eu un effet beaucoup plus fédérateur que séparateur et a exercé un effet modérateur sur le marquage de la différence dans l’approche de l’Amérindien et de son altérité.
Enfin, il est curieux de voir la manière dont certains auteurs font volontiers référence à ce qu’ils considèrent comme une différence d’approche (c’est-à-dire de positionnement culturel) entre, d’une part, le colonisateur et civilisateur français, et, d’autre part, la méthode anglaise. C’est particulièrement le cas chez Rutché et Forget :
« Il est un autre point qui est tout à l’honneur des pères de la Nouvelle-France et que nous ne devons pas oublier: c’est la manière dont ils se sont comportés à l’égard des sauvages. Sans doute Champlain a fait la guerre aux Iroquois, et nous avons déjà dit que la chose lui a été imputée à mal. Mais encore une fois, il s’agissait, dans le cas, d’être loyal dans l’alliance faite avec les Hurons, les Montagnais et les Algonquins, en 1603. D’ailleurs la lutte que les Français font aux Iroquois porte en général le caractère de la défensive, et en aucune façon on ne saurait comparer Champlain, Maisonneuve et leur successeurs, aux conquiestadores espagnols. Loin de se faire conquérants, les Français se présentent aux tribus indigènes de Stadaconé et d’Hochelaga. Ils traitent en frères avec eux, leur montrent une grande bienveillance, les instruisent dans les connaissances humaines et dans les vérités de la foi (…) Combien différente était la conduite des Puritains en Nouvelle-Angleterre. Parkman lui-même écrit d’eux qu’ils ‘considéraient les indiens moins que des hommes, comme des bêtes vicieuses et dangereuses, comme une vermine n’ayant rien d’humains. La civilisation anglaise a méprisé et négligé les Indiens; la civilisation française leur a ouvert les bras pour les aimer’ »[130].
Cette différence entre la « méthode civilisatrice anglo-saxonne et protestante » et sa variante française et catholique est un thème assez courant dans la littérature académique au Canada de l’époque[131]. Quel que soit leur degré de généralisation, de tels propos illustrent néanmoins les tendances universalistes au sein du concept interreligieux au Québec, un universalisme qui proclame l’égalité de principe entre tous les humains et où la seule hiérarchisation admise est celle qui distingue, dans une gradation, les « bonnes » idées et les « bonnes » pratiques des « moins bonnes ».
III. Conclusion
Au terme de notre analyse, nous pouvons conclure que les trois hypothèses de départ sont confirmées.
1. En ce qui concerne la première hypothèse, il est apparu à plusieurs reprises que les auteurs des manuels étudiés adhèrent, implicitement et explicitement, à un paradigme inclusiviste. Les descriptions de la religion et de la culture amérindiennes sont truffées d’indications selon lesquelles la religion autochtone possède, jusqu’à un certain point, une part de vérité et de bien. De ce point de vue, cette religion est considérée comme une sorte de praeparatio evangeli, un marchepied, en quelque sorte, facilitant le passage à la religion chrétienne, qui détient la totalité de la vérité. La question de savoir si la vérité et le salut vont toujours de pair n’est toutefois pas posée dans les manuels[132]. Il est alors permis de parler ici de la présence d’un paradigme appelé par H-J. Van der Ven et H.-G. Ziebertz hard inclusivism, dans laquelle on ne prête attention qu’au fides qua[133].
2. En ce qui concerne la deuxième hypothèse, on s’aperçoit que le même paradigme est clairement présent dans l’historiographie générale, dont les auteurs se sont manifestement inspirés pour écrire leurs propres descriptions. On peut affirmer sans crainte de se tromper que l’historiographie des manuels apparaît ici comme la réplique « miniature » de l’historiographie officielle. On peut observer dans les manuels québécois une certaine évolution qui va dans le sens d’une attitude un peu plus positive vis-à-vis de la religion et de la culture non chrétiennes – amérindiennes en l’occurrence – ,ce qui s’exprime par un traitement plus fouillé et plus nuancé de cette religion et de cette culture[134]. Il faut préciser toutefois que cette conclusion mériterait d’être vérifiée par une étude plus approfondie – et portant sur une plus longue période – de l’évolution des manuels canadiens et de leur historiographie contextuelle, ce qui permettrait peut être de mettre au jour d’autres constantes et évolutions. À cet égard, il pourrait être également intéressant de voir si et dans quelle mesure les rapports de l’Eglise catholique avec les autochtones du Québec, auraient pu avoir, via la mère-patrie française, une sorte d’effet déclencheur ouvrant sur une approche plus positive des religions non chrétiennes en Europe occidentale.
3. En ce qui concerne la troisième hypothèse, il apparaît clairement, à l’analyse des manuels québécois, qu’outre les facteurs relevant purement du paradigme religieux, un grand nombre d’autres éléments ont joué un rôle plus ou moins important dans la construction de l’image indéniablement assez négative de l’Amérindien durant la période étudiée. L’analyse a montré en effet que l’apologétique, en tant qu’attitude intellectuelle, de même que l’historiographie narrative aux accents romantiques, ont joué un rôle déterminant sur le contenu des manuels scolaires canadiens. Ces deux facteurs ont eu un impact non négligeable sur le degré de négativité de l’image de la religion et de la culture non chrétienne. Vu son objectif déclaré de défendre la foi chrétienne (lisez : catholique) contre les autres religions et les autres cultures, l’approche apologétique va forcément de pair avec une insistance sur les divergences avec le christianisme. Cela vaut également pour la tendance à la légitimation qui est au cœur de l’histoire chrétienne romantique de la civilisation. Il est en tout cas certain qu’à l’époque, dans la pratique de l’enseignement de l’histoire et de la religion des écoles catholiques – dont le but était d’éduquer les enfants de sorte à en faire de bons chrétiens – , de telles conceptions débouchaient facilement sur une présentation largement négative de l’autre religion.
Il est par ailleurs évident que le facteur colonial a eu un effet très important sur la représentation de l’Amérindien dans les manuels scolaires québécois. On y trouve de nombreuses informations qui font ouvertement référence à la problématique de la colonisation et de l’intégration des Amérindiens dans l’ancienne colonie française. Bon nombre de tentatives visant à assimiler les peuples amérindiens se sont soldées par des échecs partiels ou complets. L’opposition croissante de certains autochtones émancipés à la politique d’assimilation, qui a, dans certains cas extrêmes, débouché sur un rejet complet de tout ce qui avait trait à la culture « blanche », a mis au jour, plus que par le passé, des différences, réelles ou non, entre les mœurs et les habitudes du colonisateur et des peuples colonisés en matière religieuse, politique, économique, sociale, etc. On retrouve également dans les manuels, sous l’une ou l’autre forme, et avec plus ou moins d’insistance d’un auteur à l’autre, une défense de la politique de colonisation et de civilisation des Blancs, en tout cas dans la mesure où elle est l’expression d’une volonté de propager le christianisme et de faire atteindre à l’autochtone un niveau de mœurs et de civilisation plus élevé (ce qui n’empêche pas la plupart des auteurs de pointer du doigt le comportement peu chrétien du Blanc ou, à l’inverse, de faire l’éloge du comportement moral supérieur du prétendu sauvage non civilisé . Il est certain que tout cela aura eu pour le moins un effet latent sur la représentation de l’Amérindien, en tant qu’individu, incompatible avec le christianisme et/ou la civilisation. Dans plusieurs manuels, cet aspect transparaît de manière explicite, les auteurs soulignant clairement le manque de volonté de l’Amérindien de se sortir de sa situation critique ou pitoyable et de s’élever au niveau de la vraie civilisation.
Un dernier élément, certes moins déterminant, qui intervient dans l’émergence de cette image négative des religions et des cultures non chrétiennes et que nous avions avancé comme hypothèse, était l’influence possible de l’évolutionnisme culturel des 18e et 19e siècles et du début du 20e siècle, qui proclamait la supériorité absolue de la civilisation technologique et de la culture occidentales et qui attribuait à toutes les cultures et civilisations non occidentales un statut inférieur selon un ordre hiérarchique donné. Toutefois, les résultats de l’analyse des manuels québécois et de leur historiographie contextuelle auraient plutôt tendance à tempérer l’influence explicite de ce modèle très connu en anthropologie. Comme nous l’avons déjà évoqué, de nombreux auteurs de manuels et d’ouvrages appartenant à l’historiographie officielle vont même jusqu’à fournir un certain nombre d’éléments qui battent en brèche l’existence de ce modèle dans la mesure où il débouche sur des jugements de valeur intrinsèquement différents selon que l’on a affaire à des cultures et/ou à des civilisations plus ou moins complexes (agriculture, vie sédentaire, société industrialisée vs nomadisme, peu de structures, pas ou peu d’industrialisation).
Quoi qu’il en soit, cette étude montre qu’au moins cinq des six facteurs retenus ont contribué, dans une plus ou moins grande mesure, à ce qui, dans les manuels scolaires considérés, nous apparaît maintenant comme une image largement négative de la culture amérindienne non chrétienne. Le fait que, en dépit de tous ces facteurs, ces manuels ainsi que les ouvrages appartenant à l’historiographie générale évoquent tout de même l’existence de points de contact entre le christianisme et l’autre religion et l’autre culture mérite au minimum d’être mentionné, et constitue par ailleurs une nouvelle confirmation du fait que le paradigme interreligieux sous-jacent était de nature non pas exclusiviste mais inclusiviste. Ainsi se trouve définitivement mise au jour l’une des grandes structures ayant façonné l’enseignement et la société non seulement en Belgique mais aussi au Québec durant la période 1870-1950
[1] Cette contribution s'inscrit dans le cadre d'une recherche sur la mentalité interreligieuse dans l'enseignement de la religion et de l’histoire catholique en Belgique, au Québec et en France, recherche subventionnée par le Fonds de Recherche de la Katholieke Universiteit Leuven, le Groupe de recherche sur l'histoire de l'enseignement religieux au Québec de l’Université Laval et le Fonds de la Recherche Scientifique - Flandre. Nous tenons à remercier les professeurs Raymond Brodeur et Alain Choppin et le chercheur Paul Aubin, qui nous ont guidé dans notre découverte de l'histoire de l'enseignement religieux du Québec et l’enseignement de l’histoire en France. Nous remercions également l'Université Laval et Pierre Caspard, directeur de l’Institut National de Recherche Pédagogique (France) pour leur accueil.
[*] La traduction du résumé est de Johanne Bédard et d’Andrée-Anne Talbot, sous la supervision de leur professeure d’anglais, Diane Pigeon.
[2] Voir B. Arcand et S. Vincent, L’image de l’Amérindien dans les manuels scolaires du Québec : ou, comment les Québécois ne sont pas des sauvages (Ville de Lasalle : Hurtubise HMH, 1979). Mentionnons également l’étude de Donald B. Smith, Le « Sauvage » pendant la période héroïque de la Nouvelle-France (1534-1663) : d’après les historiens canadiens des XIXe et XXe siècles (Ville de Lasalle : Hurtubise HMH, 1979). Cette étude ne traite toutefois pas systématiquement la question du paradigme interreligieux sous-jacent.
[3] M. Del Mar Del Pozo Andres, “Books and Education. 500 Years of Reading and Learning. Introduction”, Paedagogica Historica 37 (2002) : 1, 9-20; Marc Depaepe et al., “Textbook Production for Primary and Secondary Education in Belgium 1830-1980: Prolegomena for a Scientific Analysis”, dans W. Wiater, ed., Schulbuchforschung in Europa. Bestandsaufnahme und Zukunftperspektiven (Bad-Heilbrunn : Verlag Julius Klinkhardt, 2003), 95-106; M. De Puellez Benitez, « Los manuales escolares: un nuevo campo de conocimento », Historia de la Educación, 19 (2000) : 3-11; A. Escolano Benito, « El libro escolar como espacio de memoria », dans G. Ossenbach et M. Somoza, dir., Los manuales escolares como fuente para la historia de la educación en América Latina (Madrid : UNED Ediciones, 2001), 35-46.
[4] Voir P. Mahieu et C. Dietvorst, cité dans C.A.M. Hermans, Professionaliteit en identiteit (La Haye : Damon Budel,1994), 25. Voir aussi Brian Kelty, “Catholic Education : the Historical Context”, dans D. Mclaughlin, ed., The Catholic School. Paradoxes and Challenges (Strathfield : St Pauls Strathfield [NSW], 2000), 9-30, 13-14; T. Mclaughlin, J. O'Keefe, B. O'Keefe, eds., The Contemporary Catholic School. Context, Identity and Diversity (London-Washington : Falmer, 1996).
[5] Ce qui était considéré comme école primaire et/ou secondaire au Québec pour la période envisagée, diffère sur certains points de la situation en Belgique. À défaut de pouvoir citer ici tous les ouvrages scientifiques qui traitent de la conception et de la structure de l’enseignement au Québec pour la période considérée, mentionnons l’ouvrage par excellence en ce qui concerne l’origine et la construction de l’enseignement : L.-P. Audet, Histoire de l'enseignement au Québec, Tome 2 (Montréal-Toronto, Holt, Rinehart et Winston, 1971). Pour un aperçu historique de la situation scolaire au Québec des premiers temps de la colonie, voir L. Groulx, L’enseignement français au Canada. Tome I (Montréal : Librairie d’Action canadienne-française, 1931). Voir aussi A. Dufour, Histoire de l’éducation au Québec (Montréal : Boréal, 1997).
[6] À titre d’exemples, on peut citer : L. Hagemann, “Die Anderen als Anfrage : Die Pluralität der Religionen - Konvivienz oder Konkurrenz”, dans Religionspädagogische Beiträge 36 (1995): 59-81, 60-61; J. Hick, “The Non-Absoluteness of Christianity”, dans J. Hick & P.F. Knitter, eds., The Myth of Christian Uniqueness: Toward a Pluralistic Theology of Religions (New York : Orbis Books Maryknoll, 1988), 16-17; J. Hick, The Rainbow of Faiths. Critical Dialogues in Religious Pluralism (London : SCM, 1995), 83.
[7] Voir entre autres G. D’Costa, “Extra Ecclesiam nulla salus’ Revisited”, dans I. Hamnet, ed., Religious Pluralism and Unbelief: Studies Critical and Comparative (London : Routledge, 1990), 130-43; J. Dupuis, Jésus-Christ à la rencontre des religions (Paris : Desclée, 1989), 135; G. Gillis, Pluralism: A New Paradigm for Theology (Louvain Theological & Pastoral Monographs, 12 (Leuven : Peeters, 1993), 12-14; F.A. Sullivan, Salvation outside the Church? Tracing the History of the Catholic Response (New York-Mahwah : Paulist Press, 1992), 123-41; J.A. Van der Ven et H.-G. Ziebertz, “Jugendliche in multikulturellem und multireligiösem Kontext. Schülerinnen zu Modellen interreligiöser Kommunikation – Ein deutsch-niederländischer Vergleich”, dans Religionspädagogische Beiträge 35 (1995) : 152-53. Raimundo Panikkar aussi défend à peu près la même opinion : voir R. Panikkar, “The Jordan, The Tiber, and The Ganges: Three Kairological Moments of Christic Self-Consciousness”, dans J. Hick and P.F. Knitter, eds., The Myth of Christian Uniqueness : Toward a Pluralistic Theology of Religions (New York : Orbis Books Maryknoll, 1988), 93-95, 98-102.
[8] P. Schineller, “Christ and Church: A Spectrum of Views”, dans Theological Studies 37 (1976) : 545-66.
[9] Pour cette combinaison remarquable entre politique et religion dans l’enseignement de l’histoire au Québec pour la période considérée, mentionnons l’introduction du manuel Catéchisme, ou, Cours abrégé de l’histoire sainte, de l’histoire du Canada et des autres provinces de l’Amérique britannique du Nord, où on peut lire : « La nécessité d’enseigner de bonne heure aux enfants l’Histoire sainte et l’Histoire nationale, ne saurait donner matière de discussion, elle est admise aujourd’hui de tout le monde. Aussi n’est-il que juste de constater les efforts, le zèle et le dévouement incessants des maîtres, pour inspirer à la jeunesse, avec l’amour de Dieu et de son Église, un patriotisme intelligent et élevé ». (Les Frères des écoles chrétiennes, Catéchisme, ou, Cours abrégé de l’histoire sainte, de l’histoire du Canada et des autres provinces de l’Amérique britannique du Nord [Montréal : s.n., 1873], 4). On retrouve une tendance similaire dans l’historiographie « officielle » francophone et canadienne. Dans l’introduction de l’ouvrage Histoire du Canada, de son Église et de ses missions (Paris : Sagnier et Bray, 1852), écrit par M. Brasseur de Bourbourg, un des coryphées de l’historiographie du Québec au 19e siècle, on peut lire: « L’histoire de Canada est en même temps celle de l’Église canadienne (…) L’histoire de l’Église canadienne n’est donc que celle de la colonisation de cette contrée par nos pères ». Une approche à peu près similaire est aussi présente à l’époque dans les programmes d’études. Par exemple, dans le programme de l’enseignement primaire francophone et catholique de 1937, on peut lire : « L’enseignement de l’histoire du Canada à l’école primaire a pour but d’abord de faire connaître les faits principaux qui montrent l’évolution de notre vie nationale à tous les points de vue, puis de tirer de cette connaissance des conclusions d’ordre moral, religieux et national. L’élève qui connaît bien son histoire en parle avec fierté et aime le sol natal; il s’attache aux traditions et aux institutions nationales, respecte sa langue maternelle et sa foi religieuse; il fait tout en son pouvoir pour aimer, conserver et défendre l’héritage reçu de ses ancêtres » (M. Allard et B. Lefebvre, Les programmes d’études catholiques francophones du Québec : des origines à aujourd’hui [Montréal : Editions logiques, 1998], 557).
[10] David Gosselin peut parfaitement l’illustrer. Dans son Histoire populaire de l’Église du Canada (Québec : J.A. Langlais, 1887), IV-VI, il écrit: « On peut donc dire, en tout vérité, que nous n’avons pas d’histoire populaire de l’église du Canada renfermant, non seulement la relation suivie et détaillée de la période apostolique illustrée par l’héroïsme et le martyre de plusieurs saints missionnaires, mais renfermant en même temps la relation de cette autre période qui a vu défiler sur le siège de Québec, seize évêques, tous éminents par leur vertus et leur intelligence. C’est ce récit que nous présentons à ceux qui désirent connaître plus intimement ces missionnaires qui ont valu des armées à la mère-patrie (…). Quiconque aura appris cette petite histoire de l’église du Canada connaîtra par la même [sic] toute l’histoire du Canada, puisque nous terminons chaque période par une nomenclature des principaux évènements civils et politiques qui se sont passés dans le même temps ».
[11] On doit souligner ici qu’il n’était pas toujours très facile de distinguer clairement entre un manuel scolaire proprement dit et les histoires (semi-)populaires qui circulaient à l’époque. Pour éviter toute confusion, nous avons considéré comme manuels scolaires seulement les livres qui indiquaient d’une manière claire qu’ils étaient destinés être utilisés en classe aux niveaux primaire et secondaire.
[12] À l’exception des très nombreux « arbres », « abrégés » et/ou « tables » chronologiques quand ceux-ci se limitaient aux énumérations chronologiques des faits, destinés à faciliter l’étude des manuels proprement dits.
[13] Pour des raisons de représentativité, nous avons fait une exception pour le manuel très utilisé de F.-X Garneau, dont l’editio princeps date de 1852 mais dont la 4e édition remonte à 1882.
[14] Ce sont A. Desrosiers, Petit histoire du Canada (Québec : Garneau, 1933); J.-O. Cassegrain, Grandes lignes de l’histoire du Canada à l’usage des écoles primaires (Montréal-Toronto : D. & J. Sadlier & Cie, 1894); A. Desrosiers, Petit histoire du Canada (Québec : Garneau, 1933); FEC, Histoire du Canada: cours élémentaire (Montréal : Louis Perrault, 1883); F.T.D., Abrégé chronologique de l’histoire du Canada; suivi des principaux faits de l’histoire des Etats-Unis (Iberville : Procure provinciale des frères maristes, 1906); L.-O. Gauthier, Histoire du Canada à l’usage des écoles primaires et des maisons d’éducation (Québec : éditeur, 1876); D. Gosselin, Histoire populaire de l’Église du Canada; A. Leblond de Brumath, Précis d’histoire du Canada à l’usage des écoles primaires (Montréal : Librairie Saint-Joseph, Cadieux & Derome, 1895); H.H. Miles, Histoire du Canada pour les enfants: à l’usage des écoles élémentaires (Montréal : Dawson, 1872); L. Provancher, Histoire du Canada: le premier cours à l’usage de la jeunesse des écoles, orné des portraits des principaux personnages (Québec : J.A. Langlais, 1884); Soeurs de la Charité de la Providence, Abrégé de l’histoire du Canada (Montréal : C.O. Beauchemin, 1903); F.-X. Toussaint, Abrégé d’histoire du Canada: à l’usage des jeunes étudiants de la province de Québec ( s.l. : Darveau, 1874).
[15] Soit P.-F. Bourgeois, L’histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours (Montréal : Beauchemin, 1913); J. Bruchési, Histoire du Canada pour tous. Tome 1. Le régime français (Montréal : Editions Albert Lévesque, 1933); A. Desrosiers et C. Bertrand, Histoire du Canada (Montréal : Librairie Beauchemin limitée, 1923); P.-E. Farley et G. Lamarche, Histoire du Canada : cours supérieur (Montréal : Librairie des clercs de Saint-Viateur, 1933); Frères des écoles chrétiennes, Histoire du Canada : cours moyen (Montréal : Louis Perrault, 1893); F.-X. Garneau, Abrégé de l’histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à 1840. À l’usage des maisons d’éducation (Montréal : C.O. Beauchemin & fils, 1882); Sœur Louis-Bertrand, Histoire de l’Église du Canada (Québec : s.n., 1908); J. Rutché et A. Forget, Précis d’histoire du Canada : pour les élèves des classes supérieures de l’enseignement secondaire (Montréal : Beauchemin, 1924); C.S. Viator (Clercs de Saint-Viateur), Histoire du Canada : cours intermédiaire (Montréal : Clercs de Saint-Viateur, 1915).
[16] Voir J. Van Wiele, ‘‘Inclusivist or Exclusivist? The Image of Islam Portrayed in Belgian School Textbooks on Religion Used in Primary and Secondary Education (1886-1961),” dans Journal of Empirical Theology, 16 (2003) : 1, 31-50.
[17] M. Depaepe et F. Simon, „Schulbücher als Quellen einer dritter Dimension in der Realitätsgeschichte von Erziehung und Unterricht. Über neue Konzeptionen in der historisch-pädagogischen Schulbuchforschung”, dans Zeitschrift für pädagogische Historiographie, 7 (2002) : 7-15.
[18] Le fait que l’histoire de l’Église du Canada n’était alors qu’une variante locale des « grandes histoires ecclésiastiques » transparaît dans la brochure didactique suivante : G. Simard, Qu’est-ce que l’histoire de l’Église de Canada (Ottawa : Université d’Ottawa, 1926), 5-6, 8-9. La manière dont l’histoire de l’Église catholique au Québec est présentée, est parfaitement intégrée aux « histoires de l’Église » partant d’un point de vue européen, est démontrée par la structure des soi-disant Petites histoires saintes, destinés aux plus jeunes élèves de l’enseignement religieux catholique au Québec : « Première partie : l'Ancien Testament; Deuxième partie : le Nouveau Testament; Troisième partie : Histoire de l'Église ». Dans le dernier segment, l’histoire de « l’Église au Canada » n’est présente que sous la forme d’une leçon séparée (9e leçon). Voir Les Frères Maristes, Petite histoire sainte. Cours primaire élémentaire. 4e et 5e années (Montréal : Librairie Granger Frères limitée, 1938), 127 et suiv.
[20] Pour les manuels scolaires, voir entre autres P.-E. Farley et G. Lamarche, Histoire du Canada : cours supérieur, 23.
[21] Par exemple, dans son Précis d’histoire du Canada à l’usage des écoles primaires, 24, A. Leblond de Brumath écrit : « (Les Iroquois) rôdaient sans cesse, espérant l’occasion de tomber sur les Français, qui s’écartaient imprudemment de leurs armes ou du fort. Bien des colons furent ainsi massacrés, scalpés et même martyrisés. Mais leur pitié était à la hauteur des circonstances; on aurait cru avoir une réunion de chrétiens des premiers temps de l’Église. Sans cesse exposés aux dangers, ils vivaient toujours prêts à paraître devant Dieu ». Ce thème est aussi très présent dans la littérature de l’époque (voir entre autres H.-R. Casgrain, Oeuvres complètes de l’abbé H.R. Casgrain. Tome Troisième. Histoire de la Vénérable Mère Marie de L’incarnation [Montréal : C.O. Beauchemin & Fils, 1888], 16). À la lumière du type d’histoire des mentalités que nous pratiquons ici, il est aussi intéressant de voir que ces idées sont très tenaces et se sont longtemps perpétuées. Par exemple, on les retrouve déjà chez le Jésuite Charlevoix, le premier ‘historiographe’ du Québec (voir, notamment, Histoire et description générale de la Nouvelle France avec le journal historique d’un voyage fait par ordre du Roi dans l’Amérique septentrionale. Tome I. (Paris, 1746 [édition P. Cohen, Montréal, 1976], 180).
[22] F.-X. Garneau, Histoire du Canada. Depuis sa découverte jusqu’à nos jours. Tome 1 (Québec : s.n., J. Lovell, 1852), VII-VIII. Voir aussi H.H. Miles, The History of Canada Under French Régime 1535-1763, III-VIII.
[25] Voir aussi M. Brasseur de Bourbourg, Histoire du Canada, 1-5, 7-64; H.-R. Casgrain, Oeuvres complètes, 12; G. Goyau, Les origines religieuses du Canada, une épopée mystique (Paris : Grasset, 1924), 12-13, 16, 37-39, 48-49, 51-52, 96-97, 163-67, 187. On trouve aussi des réminiscences d’un tel discours dans une foule d’œuvres scientifique et semi-scientifiques écrites par des auteurs canadiens-français ou utilisées dans des cercles enseignants au Québec à l’époque. Quelques exemples : A.J. Drohoyowska, Les missionnaires au Canada (Rouen : Mégard, 1873), 9-16; H. Lorin, Le comte de Frontenac; étude sur le Canada français à la fin du XVIIe siècle (Paris : A. Colin, 1895), 2-3, 54; R.P. Morice, Histoire de l’Église catholique dans l’ouest canadien. Du Lac Supérieur au Pacifique (1659-1905). Vol. I (Winnipeg-Montréal : West Canada Pub., 1912), XI-XIII; J.G. Shea, History of the Catholic Mission among the Indian Tribes of the United States (New York : E. Dunigan and Bro., 1857), 21-22.
[26] J.-B. A. Ferland, Cours d’histoire du Canada. Première partie (Québec : A. Côté, 1861), III.
[27]Voir J. Van Wiele, ‘‘Inclusivist or Exclusivist’’, 42 et suiv.
[28] Voir, par exemple, l’introduction du manuel de D. Gosselin (Histoire populaire de l’Église du Canada, V) : « Nous avons aussi, depuis assez longtemps, d’excellentes petites histoires, contenant la narration fidèle des belles actions, des hauts faits d’armes et des douloureuses épreuves des différents gouverneurs, guerriers et personnages politiques qui se sont succédés depuis la fondation de Québec jusqu’à nos jours ». Les conseils et directives qu’on peut trouver dans le petit livre accompagnant « Education nationale à l’école », publié en 1937 par les Frères du Sacré-Coeur, concernant la manière d’enseigner l’histoire du Canada à l’école, indiquent que cette conceptualisation de l’histoire, aussi nommée « histoire champion », était aussi présente dans la mentalité et la réalité pédagogique de l’instituteur. On lit : « L’histoire ne doit pas se réduire à une squelette de dates et de batailles que nous contemplons béatement sans le revêtir d’un peu de vie. Il ne faut pas oublier qu’une page d’histoire est une tranche d’humanité: manifestation d’une idée, d’un sentiment, d’une volonté (…) Habituellement, on appuie trop, en classe, sur les dates, les listes de gouverneurs, ‘histoire-bataille’, les synoptiques, les questions de revue. Parfois, on se borne à cela ».
[29] Mentionnons J. Bruchési, Histoire du Canada pour tous. Tome 1. Le régime français, 13-64, 71-80, 92-102, et suiv.; A. Desrosiers et C. Bertrand, Histoire du Canada, 17-36, 48-174 et suiv.
[30] Voir notamment A. Gosselin, Histoire populaire, 8-9, 11-15, 19-21, 25-31 et suiv.; Sœur Louis-Bertrand, Histoire de l’Église du Canada, 90 et suiv.
[31] Au sujet de Garneau, qui voulait écrire une histoire plus politique et laïque du Canada, et qui dans son œuvre n’y réussit pas vraiment, on peut consulter: G. Goyau, Les origines religieuses du Canada, 11-13, 20.
[33] Dans la plupart des manuels scolaires, le nom « Amérindien » signifie « tous les habitants originaux du continent d’Amérique ». Néanmoins, la plupart des auteurs des manuels focalisent sur l’Amérindien qui vivait en Nouvelle France. Normalement, ils font une distinction entre trois grandes familles : les Algonquins, les Hurons-Iroquois et les Inuit (appelés Esquimaux avant 1960). On constate cependant que les auteurs des manuels et des grandes synthèses d’histoire du Canada, ne prêtent pas beaucoup d’attention aux Inuit. Le plus souvent, ces auteurs se limitent à mentionner l’existence et le lieu d’habitation de ces derniers (voir entre autres J.-B. A. Ferland, Histoire du Canada, 71). Quelques fois, ils sont représentés comme les plus barbares et les moins développés des autochtones canadiens. Les FEC écrivent par exemple : « Cette tribu était superstitieuse à l’excès et vivait misérablement; dans l’extrême nécessité, elle ne dédaignait pas l’anthropophagie » (Histoire du Canada: cours moyen, 35). Ailleurs, l’ingéniosité et l’intelligence des Inuit est exaltée. Ainsi, chez Damase Potvin, on peut lire : « Les Esquimaux, paraît-il, savent s’adapter aux circonstances et cette adaptation n’est pas la résultante de longs tâtonnements, mais elle est en quelques sorte instinctive » (Miettes d’histoire du Canada : 1ère série [Lévis : Le quotidien, 1946], 5).
[37] Nous ne pouvons énumérer ici tous les passages pertinents dans les manuels scolaires. Deux exemples suffisent : C.S. Viator (Clercs de Saint-Viateur), Histoire du Canada : cours intermédiaire, 29-31, 37-49, 52, 56-77, 81-83, 86-89; P.-E. Farley et G. Lamarche, Histoire du Canada, 54-58, 64-73, 75-77, 81-87, 102, 109, 124-28, 133-35, 139-45. Cette option préférentielle pour le Huron vient du fait que les Hurons étaient les alliés fidèles des Français tandis que les Iroquois étaient les alliés des Anglais, le concurrent colonial de la France à l’époque.
[38] Quelques exemples tirés des manuels : D. Gosselin, Histoire populaire de l’Église du Canada, 57; Soeur Louis-Bertrand, Histoire de l’Église du Canada, 110-19; C.S. Viator, Les missionnaires au pays des Indiens – Histoire du Canada – première année (Montréal : Clercs des Saint-Viateur, 1950), 32-37, id., Histoire du Canada : cours intermédiare, 66-67. Dans l’historiographie semi-scientifique de l’époque, on trouve la meilleure illustration de ce phénomène dans Mère Saint-Thomas, Les Ursulines de Québec depuis leur établissement jusqu’à nos jours. Tome I (Québec : Presses de C. Darveau, 1863), 45-51.
[41] Ferland, par exemple, décrit les Amérindiens comme des « pauvres gens plongés dans les ténèbres de l’idolâtrie » (J.-B.A. Ferland, Cours d’histoire du Canada, 31-32) ou comme des « nations plongées dans la plus grossière ignorance » (Ibid, 84).
[42] Voir J.-O. Cassegrain, Grandes lignes de l’histoire du Canada à l’usage des écoles primaires, 11; A. Desrosiers, Petit histoire du Canada, 34-36; FEC, Histoire du Canada : cours élémentaire (Montréal : Louis Perrault, 1883), 11-12; F.T.D., Abrégé chronologique de l’histoire du Canada ; suivi des principaux faits de l’histoire des Etats-Unis), 20; H.H. Miles, Histoire du Canada pour les enfants : à l’usage des écoles élémentaires, 24; A. Leblond de Brumath, Précis d’histoire du Canada, 9; L. Provancher, Histoire du Canada : le premier cours à l’usage de la jeunesse des écoles, 5; Soeurs de la Charité de la Providence, Abrégé de l’histoire du Canada, 9; F.-X. Toussaint, Abrégé d’histoire du Canada : à l’usage des jeunes étudiants de la province de Québec, 11.
[44] L.-O. Gauthier, Histoire du Canada à l’usage des écoles primaires et des maisons d’éducation, 13.
[45] Ce souci d’adapter le contenu des manuels au développement intellectuel des élèves est présent dans les manuels et les directives et les programmes d’études. Ainsi, Henry Hopper Miles écrit : « Ce petit livre contient une esquisse de l’histoire du Canada depuis l’époque de la découverte du pays jusqu’à nos jours. Il a été expressément préparé pour des commençants et de jeunes lecteurs, comme premiers cours. Conséquemment, il ne comprend que les faits les plus remarquables et les plus importants. L’ouvrage consistant surtout en récits intéressants sur les caractères et les incidents historiques (…) pourra (…) permettre à l’instituteur judicieux de donner une connaissance du sujet suffisante pour que l’écolier soit en état de passer au second volume de la série, plus considérable ». (H.H. Miles, Histoire du Canada pour les enfants : à l’usage des écoles élémentaires, II.
[46] Sauf celui de J. Rutché et a. Forget, Précis d’histoire du Canada: pour les élèves des classes supérieures de l’enseignement secondaire, où cet aspect n’est pas directement abordé. Ce qui ne veut pas dire que leur point de vue théologique serait différent de celui des autres auteurs. Rutché et Forget (p. 47, 59, 60) aussi répètent souvent que les Français sont venus apporter aux sauvages canadiens les vérités de la foi chrétienne.
[47] Voir également P.-F. Bourgeois, L’histoire du Canada, 17; J. Bruchési, Histoire de Canada pour tous, 55-56; A. Desrosiers et C. Bertrand, Histoire du Canada, 37, 42-43; P.-E. Farley & G. Lamarche, Histoire du Canada, 8, 13-14; F.-X. Garneau, Abrégé de l’histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à 1840. À l’usage des maisons d’éducation, 17, 19; C.S.Viator, Histoire du Canada, 22-23.
[49] FEC, Histoire du Canada : cours moyen, 35.
[52] C’était le nom en religion d’une sœur de la Congrégation de Notre-Dame. Nous n’avons pu trouver son nom véritable. Comme c’était souvent le cas à l’époque, les membres des congrégations enseignantes publiaient leurs manuels soit anonymement, soit sous le nom de leur supérieur, soit sous leur nom en religion. La seule chose que nous savons est que Sœur Louis-Bertrand n’était pas une mère supérieure. Pour une étude introductive de la production pédagogique de cet ordre religieux, voir T. Hamel, « La production pédagogique des Soeurs de la Congrégation de Notre-Dame : 1858-1991 », Études d’histoire religieuse (1999) : 65, 67-87.
[53]Soeur Louis-Bertrand, Histoire de l’Église du Canada, 6.
[54] Ibid., 5-6. Cette pratique est aussi mentionnée dans d’autres écrits de l’époque relatifs à l’histoire de l’Église catholique du Canada. Voir entre autres J.-B. de Saint-Vallier, Estat présent de l’Église et de la colonie française dans la Nouvelle-France (d’après l’édition de Robert Pepie, Paris, 1688) (Québec : A. Côté, 1856), 17-18, 47.
[55] Voir entre autres A. Robert, Leçons d'apologétique (Québec : L’Action sociale, 1917), 38-39, 44; A. Boulenger, Manuel d'apologétique : introduction à la Doctrine catholique (Lyon-Paris : Librairie catholique Emmanuel Vitte, 1937; édition réimprimée au Canada en 1939), 77-88.
[59] Quoique seulement une petite minorité des auteurs des manuels mentionnent leurs sources, il parait néanmoins qu’ils ont surtout puisé aux ouvrages de M. Brasseur de Bourbourg, F.-X. Garneau, J.-B.A. Ferland et O.-H. Casgrain (signalons également D.B. Smith, Le « Sauvage » pendant la période héroïque de la Nouvelle-France (1534-1663) : d’après les historiens canadiens-français des XIXe et XXe siècles (Ville Lasalle : Hurtubise HMH, 1979). Les fortes ressemblances entre les auteurs de manuels qui ont négligé de mentionner leurs sources et ceux qui indiquent les leurs, démontrent que les premiers ont puisé des mêmes sources ou qu’ils se sont inspirés directement ou indirectement d’une même tradition soit les grands récits de voyage d’un Samuel de Champlain, d’un Marc Lescarbot, des Jésuites comme Charlevoix et même les célèbres Relations des Jésuites.
[64] À titre d’exemple, citons cette phrase sur l’autochtone de « l’amérique septentrionale » : « on s’attendrait à trouver des différences nombreuses, sous le rapport physique que sous le rapport moral, et pourtant il n’en est rien. La plus grande similitude régnait à cet égard entre toutes les nations » (F.-X. Garneau, Histoire du Canada, 93-94).
[72] « On s’est demandé quelquefois si les hommes de la race rouge étaient doués de facultés intellectuelles aussi puissantes que ceux de la race européenne (…) En vain veut-on tirer des déductions, pour expliquer les efforts infructueux qu’on a fait pour les civiliser (…) Combien n’a-t-il pas fallu de générations pour civiliser les barbares qui inondèrent l’Europe dans les premiers siècles de l’ère chrétienne? (…) Rien n’autorise donc à croire que les facultés intellectuelles des Indiens fussent inférieures à celles des barbares qui ont renversé l’empire Romain ». F.-X. Garneau, Histoire du Canada, 115.
[73] De l’avis de Garneau, ceci, joint au fait qu’on ne peut parler d’un culte nettement défini, est la raison pour laquelle il ne s’agit pas d’une religion proprement dite chez les Amérindiens (F.-X. Garneau, Histoire du Canada, 103). On retrouve cette définition d’une religion stricto sensu dans les manuels apologétiques utilisés dans l’enseignement de la religion catholique et francophone au Québec. La religion en général y est présentée sous forme d’un triptyque : dogme ou représentation de la foi, un corpus de devoirs et préceptes basés sur la distinction entre le bien et le mal, et un ensemble de rites, appelés culte (voir entre autres A. Boulenger, Manuel d'apologétique, 130-31; A. Robert, Leçons d'apologétique, 49-50). Cette vision était commune dans l’histoire scientifique des religions à l’époque.
[74] Voir entre autres J.-O. Cassegrain, Grandes lignes de l’histoire du Canada, 11-13, 16; A. Desrosiers, Petit histoire du Canada, 36-37; F.T.D., Abrégé chronologique de l’histoire du Canada, 16-20; L.-O. Gauthier, Histoire du Canada, 12-13; D. Gosselin, Histoire populaire de l’Église du Canada, 5-6, 28, 44; A. Leblond de Brumath, Précis d’histoire du Canada, 8-9, 11, 14; Soeurs de la Charité de la Providence, Abrégé de l’histoire du Canada, 9.
[80] Cette différence se manifeste surtout dans les manuels des FEC destinés au primaire, où le sujet de l’éthique amérindienne n’est pas abordé alors que le même sujet est très présent dans les manuels du secondaire. Vraisemblablement, ce thème a été jugé trop complexe et/ou trop difficile pour être présenté aux jeunes élèves. Cet exemple montre à nouveau quels motifs pédagogiques et didactiques intervenaient dans la construction de l’image de l’Amérindien dans les manuels scolaires.
[82] Voir A. Desrosiers et C. Bertrand, Histoire du Canada, 44; F.-X. Garneau, Abrégé de l’histoire du Canada, 18-19; Soeur Louis-Bertrand, Histoire de l’Église du Canada, 29-33; C.S. Viator, Histoire du Canada : cours intermédiaire, 16-22.
[86]F EC, Histoire du Canada : cours moyen, 40; F.-X. Garneau, Abrégé de l’histoire du Canada, 18; C.S. Viator, Histoire du Canada : cours intermédiaire, 22.
[89] Ibid., 31-32. Cette vision négative de l’homme est toutefois remise en question entre autres par E. Tooker dans An Ethnography of the Huron Indians, 1615-1649 (Washington : US Government printing office, 1964), 58-60 et par B.G. Trigger, The Huron Farmers of the North (New York : Holt, Rinehart and Winston, 1969), 26-36, 63-67. Tooker écrit par exemple que le dur travail de préparation des champs (‘clearing of the land’) était réservé aux hommes (p. 27). Trigger écrit lui : “The importance of fishing for the subsistance economy of the Huron has been greatly underestimated. Moreover, since fishing was mainly a male activity, the role of the men in the Huron economy has been simultaneously underestimated” (p. 30).
[104] Soulignons ici que la représentation de Garneau et des autres auteurs qui se sont exprimés sur le comportement guerrier et le traitement des prisonniers n’est pas fausse en soi. Ce portrait est soutenu par les livres ethnographiques et anthropologiques. Voir par exemple B.G. Trigger, The Huron Farmers of the North, 47-53.
[110] Ibid., 130-33. De pareils avis sont présents chez d’autres représentants de la « grande » historiographie québécoise de l’époque. Chez Casgrain, par exemple, nous pouvons lire : « On y voit en présence les deux religions : le paganisme et la religion du Christ. L’une qui, par orgueil, abaisse l’homme jusqu’à la férocité et abrutit la femme en la rendant esclave; l’autre qui humanise et relève l’homme par l’humiliation, et ennoblit la femme en lui mettant au front l’auréole de la sainteté » (H.-R. Casgrain, Oeuvres complètes, 7).
[115] Soeur Louis-Bertrand, Histoire de l’Église du Canada, 2-3, J. Rutché et A. Forget, Précis d’histoire du Canada, 59-61, P.-E. Farley et G. Lamarche, Histoire du Canada, 23.
[119] FEC, Histoire du Canada : cours moyen, 17-18. Pour constater comment ces passages étaient généralisés et simplifiés, on peut lire, parmi beaucoup d’autres livres ethnographiques, : M.D. Coe, The Maya (London : Thames and Hudson, 1980), 44-207; R.F. Townsend, The Aztecs (London : Thames and Hudson, 1992), 27-120, 143-68; C.W. Conrad & A.A. Demarest, Religion and Empire. The Dynamics of Aztec and Inca Expansion (Cambridge, London : Cambridge University Press, 1984), 11-230.
[122] Voir notamment F.-X. Toussaint, Abrégé d’histoire du Canada, 21 et D. Gosselin, Histoire populaire de l’Église du Canada, 32.
[123] Voir entre autres P.-F. Bourgeois : « Ces barbares se montrèrent plus justes que les hommes civilisés (…) » (L’histoire du Canada, 52). Compte tenu de notre volonté de tracer une histoire des mentalités, nous ne pouvons passer sous silence le fait qu’une position identique se manifeste dans certains manuels d’histoire de l’Église, importés de France, la « mère patrie ». Pour le phénomène de l’emprunt et de l’utilisation d’ouvrages français dans l'enseignement catholique au Québec, voir P. Aubin, « La pénétration des manuels scolaires de France au Québec. Un cas-type: Les Frères des Écoles Chrétiennes; XIXe-XXe siècles », Histoire de l'éducation, 85, 1 (janvier 2000) : 3-24.
[125] J.-B. A. Ferland, Cours d’histoire du Canada, 74. La présence de cette attitude dans des cercles catholiques de l’époque apparaît notamment dans les livres suivants : H. Lorin, Le comte de Frontenac, 39; L.-E. Louvet, Les missions catholiques au XIXme siècle (Lyon-Lille-Paris : Société de Saint-Augustin, Desclée, De Brouwer, 1894), 255.
[132] Contrairement aux manuels considérés ici, ce thème est développé à l’époque dans les manuels d’apologétique utilisés dans l’enseignement religieux catholique et francophone au Québec. Il en ressort que la vérité ne correspond pas toujours au salut et que Dieu ne refuse pas son salut aux hommes de bonne volonté qui ne connaissent ou ne confessent pas encore le vrai Dieu des chrétiens (voir entre autres A. Robert, Leçons d'apologétique, 251-55 et A. Boulenger, Manuel d'apologétique, 390-91).
[133] Voir J. Van der Ven & H.-G. Ziebertz, Jugendliche in multikulturellem und multireligiösem Kontext. Schülerinnen zu Modellen interreligiöser Kommunikation – Ein deutsch-niederländischer Vergleich, dans Religionspädagogische Beiträge 35 (1995): 152-53.
[134] Notons que la même tendance se manifeste aussi dans des manuels scolaires qui n’ont pas été sélectionnés pour l’étude présente. L’exemple le plus simple est le bien connu Catéchisme historique (Montréal : Imprimerie de la Providence, 1873), dans lequel l’auteur dans l’editio princeps n’attire pas l’attention sur l’Amérindien tandis que dans l’édition revue de 1913 il mentionne expressément l’existence de plusieurs tribus différentes dans l’Amérique (45, 56-57, 75).