Pour Pierre Graveline, « L’histoire de l’éducation au Québec constitue un témoignage éloquent du rôle de l’éducation dans la vie d’un peuple » (avant-propos, p. 9). Par son ouvrage, l’auteur cherche à faire connaître à la fois les transformations du système éducatif mais aussi le rôle que le syndicalisme enseignant a joué comme moteur de changement dans les destinées de l’appareil scolaire. Issu lui-même du monde syndical pour y avoir travaillé pendant de nombreuses années à la CEQ (maintenant la CSQ), l’auteur vise à brosser à grands traits l’évolution de notre système d’enseignement des origines à nos jours dans ce très court ouvrage de moins de 200 pages.
Le texte, contenu dans un petit livre au format de poche, est divisé en huit chapitres d’inégales longueurs couvrant des périodes très différentes par leurs enjeux et leur apport. Ainsi, « Le temps des pionniers » couvre de la période de la Nouvelle France jusqu’à la Conquête anglaise. Le deuxième chapitre, intitulé « Les chevaliers de la croix », va de 1760 à 1828. Le troisième, intitulé « Le rêve brisé de l’école laïque », va de 1929 à la fin du premier ministère de l’Instruction publique. Le quatrième, appelé « Le règne d’airain de l’Église catholique », se rend jusqu’en 1935. Le cinquième porte exclusivement sur « La naissance du syndicalisme enseignant » et s’arrête en 1945. Le suivant va de 1936 à 1959. On ne s’étonnera pas qu’il ait pour titre « Les années ténébreuses », car il couvre la période connue comme étant celle de la Grande noirceur. L’avant-dernier s’intitule « L’ère des grandes réformes démocratiques » et se termine en 1980, cédant la place aux « Défis et enjeux contemporains » qui s’arrêtent au moment de la publication.
La clientèle visée par cet ouvrage est probablement un large public qui pourra ainsi mieux connaître les méandres de notre histoire éducative, histoire d’ailleurs que Graveline considère comme méconnue par la grande majorité de la population. A-t-il raison et comment mesurer cette connaissance ? Chose certaine, les cours d’histoire de l’éducation disparaissent ou sont de plus en plus menacés dans les programmes universitaires, particulièrement les enseignements directement reliés à la formation des enseignants et enseignantes.
Quoique cet ouvrage ne prétende pas être un écrit scientifique, il est tout de même dommage de constater qu’il comporte beaucoup d’affirmations non fondées ou non documentées. Il arrive très souvent en effet que l’auteur nous dise que la fréquentation scolaire s’est améliorée, ou que telle filière régresse sans que l’on puisse mesurer l’importance numérique ou factuelle de ces transformations. De plus, l’auteur utilise souvent des concepts qui ne sont pas définis ou qui pourraient laisser entendre un parti pris idéologique. Malheureusement, ces éléments correspondent à plusieurs lacunes mentionnées par Micheline Dumont dans cette même revue en 1991 lorsqu’elle trouvait que certains travaux en histoire de l’éducation utilisent des concepts éculés (par exemple cléricalisme de la société) et répètent des affirmations qu’aucune recherche n’est venue étayer. À titre d’exemple, l’auteur, parlant de l’enseignement religieux, mentionne à la page 14 que le programme est à peu près le même pour les deux sexes. Sur quels éléments et quelles sources se base-t-il pour soutenir cela ? À la page 112, il écrit que, du côté protestant, « des écoles élémentaires modernes et bien équipées préparent les jeunes anglophones à recevoir un enseignement public de qualité ». Sur quelles sources repose cette affirmation ? Dernier exemple : dans les pages couvrant la période 1960-1980, l’auteur mentionne que des méthodes pédagogiques sont progressivement mises en place (p. 130). Les méthodes pédagogiques ne sont pas l’apanage de la réforme des années soixante et existent depuis l’origine de l’institution scolaire. On s’étonne aussi qu’il ne soit fait aucune mention du livre d’Andrée Dufour intitulé Histoire de l’éducation au Québec, publié en 1997.
Malgré les lacunes mentionnées précédemment, ce petit opuscule offre néanmoins à un vaste public des éléments forts intéressants pour comprendre le courage des institutrices rurales luttant, sous la houlette de Laure Gaudreau, pour obtenir des salaires décents, une retraite adéquate et des conditions de travail acceptables. Les parties du livre traitant de l’apport du syndicalisme sont sans contredit les meilleures, et l’on ne s’en étonnera guère quand on sait l’implication de l’auteur dans ce domaine et sa profonde connaissance du sujet. C’est là aussi qu’en peu de données chiffrées, il nous permet de mesurer les écarts de traitement entre hommes et femmes, et entre catholiques et protestants. Ces portraits synthétiques, qui sont connus des lecteurs assidus des travaux touchant l’histoire de l’éducation, sauront captiver toute personne minimalement intéressée par les origines de notre système scolaire actuel. Qui sait, ce petit ouvrage saura peut-être susciter des vocations dans le champ captivant des recherches en histoire de l’éducation au Québec. Fait indéniable, il brosse un tableau vivant de l’évolution du syndicalisme enseignant, en le reliant à l’évolution globale de notre système éducatif.
Thérèse Hamel
Faculté des sciences de l’éducation/CIÉQ
Université Laval