Hélène Sabourin. À l’école de P.-J.-O. Chauveau. Éducation et culture au XIXe siècle. Montréal, Leméac, 2003. 230 p.

À l’école de P.-J.-O. Chauveau est un ouvrage qui met l’emphase sur l’homme qui se cache derrière celui qui occupe le poste de surintendant puis de ministre de l’Instruction publique entre 1855 et 1873. Hélène Sabourin ne s’intéresse pas tant au politicien, essayiste, journaliste qu’à l’être passionné par le savoir et les livres. Ses convictions font de lui un personnage d’envergure, promoteur d’éducation et de culture, comme l’indique le sous-titre. Lorsque le hasard de la politique le place à la direction du département de l’Instruction publique (DIP), il s’empresse de communiquer sa passion à toutes les couches de la société. La double devise du Journal de l’instruction publique, qu’il lance en 1857, porte éloquemment la marque de l’homme : « Rendre le peuple meilleur » annonce l’en-tête tandis que, sous un livre ouvert, il est écrit « Religion, liberté, science, progrès ». Sabourin nous convie à découvrir une facette moins connue de la personnalité de Pierre J.-O. Chauveau.

Cette étude biographique comporte dix chapitres qui suivent un ordre chronologique. Le premier résume le parcours personnel de Chauveau, de son enfance à sa nomination comme surintendant. Ses dix-huit années à la direction de ce département devenu ministère alors qu’il cumule la fonction de premier ministre de la toute nouvelle province de Québec sont relatées à travers les neuf chapitres suivants. Hélène Sabourin veut préciser à quel point « la conception qu’a Chauveau de l’éducation est fondamentalement différente de celle véhiculée par Jean-Baptiste Meilleur [son prédécesseur] » (p. 20). « Ce nouvel éclairage » s’alimente à plusieurs sources : documents officiels, procès-verbaux de la Chambre des arts et manufactures, rapports annuels du surintendant, journaux d'époque, ainsi qu’à l'énorme correspondance de Chauveau avec des gens d'horizons divers au Québec et à l’étranger. À cela s’ajoute celle de Meilleur à l’abbé Louis-Édouard Blois dont les lettres servent de « faire valoir » permettant de différencier les deux hommes tant sur le plan professionnel que personnel.

L’A. intercale à travers les événements professionnels des détails sur la vie personnelle et familiale du personnage. Sa correspondance laisse transparaître un être complexe. « Ses lettres le montrent facilement troublé par les vicissitudes de la vie, mais aussi plein d'entrain, mêlant dans les mêmes lettres, souvent brouillonnes, sa vie privée et les affaires de l'État » (p. 10).

Si plusieurs ont vu en Chauveau « le continuateur efficace » de Meilleur, Sabourin veut démontrer qu’il le sera d’une autre manière. Chauveau croit que l'éducation doit déborder le cadre scolaire, elle doit puiser à toutes les sources et on doit y avoir accès à tout âge. Il est membre d’office et actif de la Chambre d’agriculture puis de la Chambre des arts et manufactures, organismes de promotion des nouvelles techniques. Inlassablement, il visite les salles de cours du soir, participe à l'organisation de conférences publiques, à la création de bibliothèques et de musées et s'occupe d'expositions consacrées à l'agriculture, à l'industrie, aux beaux-arts, etc. Sur ce plan, il est infatigable. Féru de culture, il se donne « pour mission d’insuffler le goût de la lecture au plus grand nombre » d’abord en mettant sur pied une bibliothèque à son département. Comme il ne dispose pas d’un budget suffisant, il obtient des livres grâce à un système d’échange avec des correspondants européens et en sollicitant des dons. Ses lettres personnelles font état de son acharnement à garnir les rayons qui comptent bientôt 5000 ouvrages. Puis, il instaure la distribution de livres en récompense aux élèves confiée, cette fois, aux inspecteurs d’écoles.

Parce que Chauveau a l’appui politique nécessaire, ses premières années à la surintendance sont fructueuses. Il s’avère un plaideur solide le moment venu de défendre l’inspectorat, les écoles normales ou d’exposer les droits des protestants. C’est aussi un inlassable promoteur à la fois de la profession enseignante, des sciences du commerce, de l’industrie et de l’agriculture. Dans les faits, c’est à la surintendance que Chauveau connaîtra ses plus belles réussites.

Devenu premier ministre de la province de Québec en 1867, il choisit de conserver la direction de l’Instruction publique. Pourquoi Chauveau se réserve-t-il la surintendance en plus d’avoir à établir un premier gouvernement? Sabourin avance que c’est là une suggestion de George-Étienne Cartier qui, pressé de voir se « former le premier cabinet provincial » (p. 157), veut ainsi vaincre l’hésitation de son candidat à quitter la surintendance. L’A. suggère que la double rémunération n’était pas sans intéresser Chauveau toujours à court d’argent. Mais, le nouvel élan qu’il veut donner à l’éducation, à la suite de son voyage en Europe, peut aussi être pris en compte. Dans ses mémoires parues en 1876, il ne semble pas que Chauveau ait justifié ce choix. D’ailleurs, y avait-il parmi les députés plusieurs candidats aptes à prendre la relève? Les deux premiers ministres qui succèderont à Chauveau cumuleront à leur tour, au moins, les deux fonctions. Peut-on penser que la compétence des fonctionnaires de ce ministère y est pour quelque chose?

En créant ce ministère de l’Instruction publique Chauveau veut affirmer « la présence de l’État dans le champ de l’Éducation » (p. 176), ce qui suscite rapidement les « hostilités de la part d'évêques ultramontains et certains lobbys protestants [qui] conduiront à son abolition en 1875 » (p. 166). Entre-temps, Chauveau fait voter une loi en 1869 qui donne satisfaction aux protestants qui réclamaient plus d’autonomie, promesse faite par le ministère Cartier-Galt au moment des discussions préparatoires à la Confédération canadienne. La même année, il demande un élargissement du Conseil de l’Instruction publique (CIP) qui comptera sept nouveaux membres dont quatre laïcs. D’un autre côté, fidèle à ses principes, Chauveau enrichit le mandat du ministre en élargissant son rayon d’action aux arts et à la culture en général. La participation à des distributions de diplômes et de médailles devient fonction d’office. Après sept ans de travail acharné, il est débordé. De plus en plus contesté sur le plan politique alors que plusieurs deuils brisent sa vie familiale, Chauveau démissionne en février 1873.

La lecture de cet ouvrage nous fait découvrir certains traits de Chauveau. Si ses idées plus libérales que conservatrices, du moins en ce qui touche l’éducation, étaient déjà connues, son image de promoteur de la connaissance et ses nombreuses activités parallèles à sa fonction officielle l’étaient moins. Le fait qu’il soit bibliophile ne surprend nullement. Parmi l’élite, plusieurs cultivent cette passion à cette époque, mais combien peuvent se targuer d’avoir monter seul une bibliothèque publique et d’en avoir autant encouragé la multiplication. Si certains de ses contemporains le perçoivent comme quelqu’un qui recherche « le plaisir de se faire applaudir », on comprend qu’il se veut un ambassadeur de l’éducation fier d’illustrer par le fait même que l’État doit jouer un rôle prioritaire dans la diffusion des connaissances. C’est ce qui le perdra en fin de compte. En 1875, alors qu’on rétablit la surintendance, on assiste à la montée du pouvoir de l’Église en ce domaine. Même si son ami le grand vicaire Charles-Félix Cazeau souhaite le voir reprendre ses anciennes fonctions, ce sera peine perdue car le clergé craint trop les principes de laïcisme de Chauveau (p. 205). Il acceptera néanmoins de siéger comme membre laïc au CIP.

Cette étude, centrée sur la personne de Chauveau, en action dans le siècle pourrions-nous dire, ne comporte pas de véritable évaluation de son travail comme surintendant et comme ministre de l’Instruction publique. Bien sûr que ses succès et échecs sont soulignés au moment où ils se produisent, mais il n’y a pas de vue d’ensemble. La situation financière précaire de la nouvelle province semble avoir limité l’action du ministre davantage que les enjeux politiques, mais Sabourin évite de dresser un bilan comparatif, exercice qui n’a jamais été fait à notre connaissance. L’analyse viendra peut-être un jour et complètera la stature du personnage. Soulignons qu’à maintes reprises, plutôt que d’entreprendre une brève analyse soit de la pensée et des valeurs de Chauveau soit d’une prise de position, l’A. suggère des ouvrages en référence (note en bas de page). Par ailleurs, elle ne donne en guise de bibliographie que quelques titres indicateurs, nous renvoyant à sa thèse de doctorat. Ces raccourcis visent peut-être à ne pas alourdir le texte, mais on y perd et sur l’ampleur du personnage, et sur la documentation de base du travail lui-même.

À l’école de P.-J.-O. Chauveau dresse le portrait d’un homme entièrement dédié à sa mission de promoteur d’éducation et de culture. Par le biais d’événements diversifiés, l’auteure rappelle des moments précieux pour la société du XIXe siècle et surtout comment Chauveau y participe activement. Sans l’ombre d’un doute, le personnage captive Hélène Sabourin. L’admiration est palpable. Ce « nouvel éclairage » sur ce personnage public nous renvoie l’image d’un homme éclectique, d’un correspondant prolifique et d’un père aux prises avec les aléas de la vie familiale. La biographie de Pierre-J.-O. Chauveau se trouve enrichie d’un nouveau volet.

Jocelyne Murray
Université du Québec à Trois-Rivières