Claude Corbo. La mémoire du cours classique. Les années aigres-douces des récits autobiographiques. Montréal, Les Éditions Logiques, 2002. 446 p.

Tout au cours de la lecture de ce volume, il faut garder à l’esprit son titre et les objectifs fixés par l’auteur, que lui-même nous rappelle d’ailleurs constamment. Avant de rédiger ses propres souvenirs du cours classique—ce qui constituera le second tome de l’ouvrage—, Claude Corbo a voulu faire « un examen de la mémoire du cours classique dans les écrits personnels, intimes ou autobiographiques québécois » (p. 16). à partir d’un corpus considérable (et qu’il aurait même pu enrichir), il a présenté les souvenirs de plusieurs personnalités sur le cours d’études perçu à travers des thèmes très précis : le collège en marge du monde ; les professeurs ; les programmes et les méthodes pédagogiques ; les jeux, les loisirs et les sports ; la religion et le climat moral ; l’autorité et la discipline. Ces thèmes sont repris pour chacune des trois périodes retenues : « Fin de siècle (1880-1920) », « La marée montante de la modernité (1920-1945) », « Prodromes de la Révolution tranquille (1945 à la fin des collèges) ».

De l’analyse minutieuse que l’auteur fait de ses sources, il ressort un portait contrasté des collèges-séminaires assez semblable d’une période à l’autre. D’une part, la plupart des anciens du cours classique lui reprochent de garder une certaine distance de la société et même d’être un monde en marge du monde ; selon eux, ils ont été assujettis à une véritable ascèse intellectuelle encadrée par des horaires rigoureux, répétitifs et monotones. Deux disciplines importantes leur paraissent particulièrement mal enseignées : la religion, qu’ils voient comme triste et grise, sans joie, pesante, menaçante même ; la philosophie, vouée à l’échec à cause des manuels écrits en latin et de « l’enfermement exclusif dans l’univers clos d’un thomisme généré » qui voue aux gémonies toutes les autres philosophies. Enfin, un bon nombre de témoins soulignent l’incompétence plus ou moins grande des enseignants.

Et pourtant, malgré toutes les carences et les critiques dont ils font état, peu d’auteurs condamnent sans nuance, péremptoirement, le cours classique et ils sont plusieurs à signaler des points positifs : la discipline de vie, les vertus intellectuelles acquises au cours des études, la formation humaniste unifiée de l’élite de la société, les découvertes culturelles qui conduisent parfois à certaines vocations d’écrivains, etc. Plusieurs ont rencontré « des maîtres éblouissants et enchanteurs » dont ils tracent des portraits élogieux. Quelques-uns même avouent avoir passé au collège de « merveilleuses années » (Marcel Trudel) et Georges-émile Lapalme, si critique par ailleurs, rappelle que longtemps « la seule lumière venait de ces phares [les collèges] disposés le long de nos rivages. Sans eux, il n’y aurait eu que la nuit ». Jacques Ferron parle, pour sa part, des années « les plus claires, les plus lumineuses » de sa vie.

Comme il fallait s’y attendre, les témoignages les plus nombreux et variés, pour ne pas dire contradictoires, concernent la deuxième période qui couvre les années 1920 à 1945. Mais cette abondance de points de vue n’occulte pas le caractère restrictif du matériau étudié, d’ailleurs reconnu d’emblée par l’auteur. Pour ma part, je note que, sauf pour la première période où les abbés Lionel Groulx et Albert Tessier témoignent, on ne retrouve pas, si je ne m’abuse, de commentaires venant des enseignants eux-mêmes qui apporteraient peut-être un autre éclairage. Les collèges des régions sont aussi très peu représentés. Enfin, ceux qui écrivent sur la dernière période (à partir de 1945) décrivent davantage le cours classique de l’immédiat après-guerre. Ceux qui sont venus plus tard et qui n’ont pas encore écrit leurs mémoires ou leurs autobiographies pourraient témoigner d’un aggiornamento, qui a bel et bien existé et qui a corrigé en partie plusieurs carences dénoncées. Après la fondation de la Fédération des collèges classiques en 1953 et surtout le réveil des Facultés des arts de Montréal et de Québec (la Commission d’enquête dite Lafrenière, 1957-1960), se mettent en place une série de réformes. Un témoin de Rimouski en note les conséquences : « professeurs d’expérience, perfectionnés et recyclés, bibliothèques nouvelles, laboratoires de langue et de sciences, méthodes pédagogiques à la fine pointe des recherches du temps et surtout un esprit à la fois nouveau et traditionnel qui assurait la maturité de la démarche » (Pascal Parent, « De la robe noire au veston-cravate », dans 125 ans de présence en éducation, 1867-1992, Rimouski, Département de sciences religieuses et d’éthique, UQAR, 1992, 160-161). Il serait intéressant de savoir quels souvenirs en ont conservé les étudiants et les étudiantes (car certains collèges deviennent mixtes). En attendant et même pour les périodes précédentes, il revient aux historiens de l’éducation de compléter, à partir d’autres sources, le tableau partiel offert par Claude Corbo entoute connaissance de cause.

Nive Voisine Professeur
émérite Université Laval