Claude Corbo est un intellectuel engagé et une figure marquante de l’éducation au Québec. À la fois acteur et analyste, il a été tour à tour réformateur, professeur, recteur, essayiste et il continue de participer à de nombreux débats et groupes de travail ou de réflexion. Sa passion pour l’éducation d’aujourd’hui et d’hier, il la partage avec son lectorat par le biais d’une production abondante et fructueuse. Ces dernières années, Claude Corbo, avec l’aide de précieux collaborateurs, s’est en fait donné comme mandat de rappeler à la mémoire le riche passé historique québécois. Avec l’aide de précieux collaborateurs, il a publié plusieurs anthologies, sur la pensée politique et les collèges classiques notamment. Un quatrième ouvrage du genre vient d’ailleurs de paraître en 2002: L’éducation pour tous, une anthologie du rapport Parent.
Dans le cas présent, deux volumes retiennent notre attention plus particulièrement. Le premier ouvrage recensé ici, Repenser l’école, retrace les débats marquants de l’histoire éducationnelle pendant la période de 1945 aux années 1960. L’objectif initial de Claude Corbo était alors de rassembler et de rendre accessible « un ensemble de textes permettant de connaître les origines et de mieux comprendre les caractéristiques les plus importantes d’une transformation sociale, politique et culturelle majeure dans l’histoire du Québec » (Corbo, 2000, p. 14). À travers plus de soixante-dix courts textes, que l’on pourrait qualifier d’inspirateurs ou de fondateurs, pour reprendre les mots de l’auteur, se profilent ainsi des groupes de pression, des penseurs, à la fois auteurs et acteurs marquants de leur époque respective.
L’anthologie s’intéresse particulièrement à quatre thèmes principaux qui ont servi de cadre à la sélection des textes, textes ensuite présentés selon un ordre chronologique. Sont ainsi abordées les dimensions philosophique, politique et pédagogique de l’éducation de même que la question de la confessionnalité scolaire. Les propos vifs et la pensée alerte de plusieurs auteurs réjouissent - c’est le cas en particulier des textes signés par André Laurendeau, Marcel Rioux et Arthur Tremblay-alors que certains textes - tels ceux de Lionel Groulx ou ceux publiés par la revue Relations dans les années 1940 - apparaissent en comparaison bien frileux. Le débat sur la pertinence et le renouvellement des humanités classiques, que Claude Corbo a bien mis en avant-plan, accapare une bonne part des textes choisis. On pourrait reprocher à l’auteur d’avoir trop favorisé ce sujet de prédilection mais c’est oublier que la question de la pertinence et de l’adaptation du cours classique est incontournable. Elle a été au cœur des préoccupations des élites québécoises et des principaux acteurs de la scène éducative et marqué, à travers les époques, les idéologies dominantes.
Le second ouvrage de Claude Corbo, L’idée d’université, est composé d’écrits portant sur l’enseignement universitaire durant la période 1770 à 1970. « L’anthologie veut mettre en lumière des documents qui ont contribué à un débat public sur l’idée d’université, qui ont cherché à propager une vision de l’institution et qui ont influencé la prise de décision dans les affaires universitaires » (Corbo, 2001, p. 10). Même si la période à l’étude est beaucoup plus étendue, le propos est plus circonscrit que dans l’anthologie précédente, les textes plus anciens étant moins nombreux que ceux d’une époque plus contemporaine. Le fait d’avoir privilégié une thématique spécifique a cependant l’avantage de mieux couvrir les diverses facettes du sujet. Les nombreux points de vue exprimés par des prêtres, des frères éducateurs, des universitaires laïcs, des journalistes, etc. démontrent avec éloquence la richesse des conceptions éducatives alors présentes au sein de la sphère politique et sociale québécoise.
Malgré une certaine redondance dans l’expression des conceptions de l’université, et une quasi intemporalité de l’idée même d’université, l’anthologie présente néanmoins des moments de rupture importants, telles les années 1920 par exemple, et des acteurs qui ont exprimé, au fil des ans, des idées fort novatrices. On peut penser à Édouard Montpetit, à Marie-Victorin, à Esdras Minville, pour ne nommer que ces quelques figures marquantes, ou encore, plus près de nous, à Guy Rocher dont l’analyse, datant de 1969, est toujours d’une grande actualité. À travers ces différents textes, Claude Corbo soutient que cinq grandes formes ou conceptions de l’université sont apparues au fil des décennies : 1- l’idée théologique, associée principalement à l’Église catholique; 2- l’idée humaniste, à contenu culturel et scientifique; 3- l’idée fonctionnelle, de conception utilitariste; 4- l’idée utopique, à contre-courant des conceptions dominantes; 5- et, enfin, l’idée révolutionnaire de l’université, une conception radicale et en rupture complète avec l’impérialisme et « le complexe militaro-industriel (…) contre la recherche vouée à accroître l’efficacité de l’industrie et des machines de guerre » (Corbo, 2001, p. 20). Bien sûr, ces divers courants de pensée n’ont pas eu le même poids et la même influence à travers le temps, certaines visions éducatives étant même restées plutôt marginales, telle l’idée révolutionnaire de l’université par exemple. Cependant, la typologie utilisée et le choix des textes effectué par Claude Corbo ont le mérite de bien mettre en évidence toute la palette des points de vue exprimés. De même, l’anthologie prouve bien que les débats sur les finalités de l’université par rapport au marché du travail, aux impératifs économiques, à la formation fondamentale et à la dimension critique ne sont pas l’apanage de la seule période actuelle, loin de là.
En somme, malgré le caractère restrictif imposé par le matériau et le fait qu’une anthologie n’est jamais neutre par définition puisqu’elle procède d’une sélection, les grandes questions entourant l’éducation sont bien représentées dans les deux anthologies de Claude Corbo. Certains déploreront le caractère peut-être partiel du tableau peint par le chercheur et regretteront que des aspects aient été moins mis en lumière, que peu de place n’ait été accordée à certains groupes d’acteurs (tels les frères enseignants) comparativement à d’autres protagonistes qui, au contraire, reviennent de façon récurrente exprimer leur position. De même, on pourra considérer que certains éléments des débats sont répétitifs et que d’autres informations historiques sont beaucoup moins exploitées.
Toutefois, ces quelques réserves n’empêchent pas d’apprécier la démarche de l’auteur et le grand intérêt des travaux de Claude Corbo. Pour la communauté historienne, souvent portée vers une certaine spécialisation, ce sera l’occasion de remettre en perspective les diverses positions exprimées, d’avoir une vision globale de cette évolution historique. Pour un public plus vaste, les textes colligés rappelleront à la mémoire la multiplicité, les nuances et la diversité des points de vue sur l’éducation ainsi que des dimensions du passé éducatif souvent occultées de nos jours. Il s’agit donc d’une belle opportunité d’appréhender la réalité historique directement, soit par les acteurs qui ont façonné l’évolution de l’éducation et de la société québécoise. Claude Corbo continue ainsi de jouer un important rôle en éducation en faisant connaître au plus grand nombre la richesse de son histoire.
Marie-Josée Larocque
Université Laval