Au congrès de 1990 de la Canadian History of Education Association / Association canadienne d’histoire de l’éducation, à Ottawa, en compagnie de ma collègue Nadia Fahmy-Eid, nous avions intitulé un bilan des recherches en histoire de l’éducation au Québec : « La pointe de l’iceberg », laissant entendre que les recherches étaient encore trop peu nombreuses. Depuis cette date, les publications se sont multipliées et ma foi, l’iceberg est devenu une large banquise.
L’ouvrage que vient de publier Jocelyne Murray s’ajoute donc à une longue litanie d’ouvrages dont plusieurs concernent le développement de l’éducation au XIXe siècle, ouvrages signés par Andrée Dufour, Jean-Pierre Charland, Michel Verrette, Thérèse Hamel, Serge Gagnon, pour n’en nommer que quelques-uns. Il s’agit cette fois d’une perspective régionale : le développement du système scolaire en Mauricie durant la seconde moitié du XIXe siècle.
L’auteure a examiné de manière exhaustive la correspondance des municipalités scolaires concernées avec les instances éducatives, correspondance des parents, des contribuables, des institutrices, les rapports des inspecteurs, les statistiques publiées par le Surintendant de l’Instruction publique ainsi que quelques monographies paroissiales. Peu de sources documentaires lui ont échappé et elle éclaire cet ensemble avec les informations tirées de récentes études plus générales. Elle adopte une perspective large, laquelle aborde successivement dans autant de chapitres, les réalités administratives, financières, politiques, sociales, architecturales et finalement scolaires. Son étude nous fait pénétrer par l’intérieur dans les commissions scolaires et les écoles de la Mauricie de la seconde moitié du XIXe siècle. L’ouvrage regorge d’informations intéressantes et parfois entièrement nouvelles sur la question de la scolarisation des masses, mais la présentation de la région, trop superficielle, ne permet pas de saisir le véritable mouvement qui s’est produit en Mauricie.
Le premier chapitre, consacré à la commission scolaire, examine le statut des commissaires, les élections scolaires, et fait le point sur la réputation des commissaires à travers les jugements du Surintendant de l’Instruction publique et les inspecteurs d’école. On peut regretter que le terme « contribuable » ne soit pas fermement défini. Une section fort intéressante nous informe sur le rôle clef du secrétaire-trésorier, responsable de la perception des taxes scolaires et de la correspondance officielle. Dans ces petites républiques, ils assurent la continuité, étant les seuls à occuper longuement leurs fonctions. Elle récuse les jugements sévères portés naguère sur le peu d’intérêt suscité par les élections scolaires , mais apporte au bout du compte peu de preuves du contraire puisque sur 800 élections, 32 seulement ont suscité une véritable contestation. On doit regretter que la carte de la page 42 n’indique pas les limites des trois comtés couverts par l’étude, ce qui complique grandement la compréhension du chapitre suivant.
Le second chapitre examine la question du financement des écoles, assuré par les subventions gouvernementales, la cotisation foncière et la rétribution mensuelle. La médiocrité de ce financement reste sans contredit la cause de la faiblesse structurelle du développement scolaire, compte tenu de la pauvreté chronique qui frappe tant de paroisses. Elle explique clairement les contraintes financières des corporations scolaires qui entraînent le caractère aléatoire des revenus. Les exemples sont fort nombreux mais ce chapitre aurait exigé sans doute une meilleure présentation des paroisses, ou à tout le moins une typologie pour nous permettre de distinguer entre les vieilles paroisses, les développements nouveaux et les régions de colonisation. Cette typologie aurait pu fournir des éléments explicatifs aux problèmes rencontrés par l’expansion du réseau. L’explication fournie : « la densité de la population, le niveau de développement des terres, et l’économie rurale en général » (p. 21) ne semble pas sortir des généralités et surtout, n’est pas utilisée de manière systématique. On demeure donc sur notre faim pour saisir les hauts et les bas du financement des écoles. Des comparaisons avec l’ensemble de la province permettent de saisir la pauvreté du milieu rural mauricien, exception faite de la ville de Trois-Rivières, phénomène qui n’est pas vraiment une surprise. Mais cette pauvreté généralisée n’est pas vraiment expliquée.
Un bref chapitre s’intéresse aux affaires scolaires et aborde essentiellement trois questions : l’emplacement des écoles, l’implantation des écoles modèles dans les villages, et le rôle des curés dans les discussions publiques. On s’étonne qu’elle n’utilise pas la terminologie officielle du département de l’Instruction publique pour désigner la majorité des écoles modèles : école indépendante et sous contrôle. On apprend avec surprise qu’en plusieurs endroits, on s’oppose à l’érection d’une école modèle. On aimerait mieux comprendre la dynamique qui s’établit entre les corporations scolaires et les communautés religieuses, masculines ou féminines, la plupart responsables de ces établissements. C’est au XIXe siècle que se prépare l’invasion congréganiste, si importante dans le Québec de la première moitié du XXe siècle, et ce chapitre ne permet pas de le comprendre. Il semble que les congrégations soient peu nombreuses en Mauricie. Il y a là vraisemblablement une explication régionale, la région de Trois-Rivières se situant entre les aires d’influence de Québec et de Montréal, et possédant peu de congrégations locales. Mais l’auteure ne s’intéresse pas à cette question.
Les deux chapitres suivants abordent la question du personnel : engagements, contrats, salaires, compétence, rapports avec les citoyens. Ces deux chapitres sont fort intéressants, remplis d’exemples souvent savoureux. La faiblesse des salaires est au cœur de ce chapitre. La rémunération des enseignants entraîne pourtant des disparités que l’auteure se contente d’indiquer. Elle ne fait intervenir aucune explication systémique sur la discrimination qui frappe les institutrices, pourtant majoritaires. Elle se trouve aussi à passer sous silence un élément clef du développement scolaire : la rareté des lieux de formation pour les maîtres et maîtresses, ce qui explique qu’un nombre dérisoire d’entre eux soient passés par une école normale. L’anomalie qu’elle souligne : « L’instruction des garçons apparaît comme une affaire publique tandis que celle des filles relève surtout du privé » (p. 108) n’est pas conduite à sa signification profonde. En effet, la plupart des institutrices reçoivent leur formation dans les écoles modèles privées, et obtiennent après ces brèves études, un brevet de compétence du Bureau des examinateurs catholiques. Les économies ainsi réalisées, sur le plan provincial, se font donc sur le dos des parents qui tiennent à faire étudier leurs filles, petit bémol à l’opinion majoritaire sur le désintérêt de la population pour l’instruction.
Le chapitre suivant, L’école le « palais du peuple », propose un aperçu des maisons d’école et de leur ameublement, sans oublier le matériel pédagogique. Fort intéressant, ce chapitre nous informe sur la lenteur avec laquelle on s’est décidé à construire des bâtisses autonomes, sur l’évolution du mobilier et sur la précarité du matériel pédagogique. L’auteure note les importantes différences entre les écoles de village et les écoles de rang.
Enfin, le dernier chapitre aborde l’enseignement lui-même et ses résultats : les inscriptions, l’assiduité scolaire, les méthodes d’enseignement, les programmes d’études, le classement des élèves ainsi que leur évaluation. On découvre ainsi que l’apprentissage de l’écriture prend du temps à se généraliser, vraisemblablement faute de matériel adéquat. L’auteure étudie également le rôle de l’école dans la socialisation des enfants en analysant les règlements, les corvées, les fêtes, les congés et les récompenses. On lui sait gré d’avoir déniché des règlements locaux qui mettent des détails inédits sur les informations générales qui figurent habituellement dans les études de synthèse. C’est dans ce chapitre qu’on trouve des statistiques sur l’alphabétisation de la population qui augmente constamment durant la période examinée. Elle ne rattache pas toutefois le phénomène de l’alphabétisation supérieure des filles à ce qui est observé dans l’ensemble de la province pour la seconde moitié du XIXe siècle. On aimerait également de meilleures informations sur le programme d’études lui-même. Il semble que l’A. ignore que ce fameux programme théorique de quatre années (qui exigeait souvent plus de sept ans à être parcouru), était précédé du cours préparatoire où plusieurs enfants se contentaient de stationner durant plusieurs années.
Il est malaisé de discerner dans cet ouvrage quelque élément théorique nous permettant d’évaluer le développement de l’instruction dans la Mauricie. Les termes ne sont nulle part définis et l’instruction est tacitement présentée comme un progrès incontournable. Sans doute trouve-t-on un élément explicatif dans cette phrase de l’introduction : « Comment envisager la réussite du développement des écoles publiques quand la population ne forme pas un tout homogène? » (p. 11). L’A. affirme que les élus locaux ont sans doute manifesté « une plus grande conscience sociale et politique que les instances centrales » (p. 327). Elle affirme également que la dichotomie entre les parents qui valorisent l’instruction et ceux qui la sous-estiment se formule ainsi : « accepter ou non que ses enfants soient plus instruits que soi » (p. 327). Cette affirmation ne repose cependant sur aucune analyse spécifique. L’A. démontre toutefois que l’expérience de la scolarisation a pu toucher presque la totalité de la population enfantine de la Mauricie. Ce portrait régional s’applique-t-il pour toutes les régions du Québec, ainsi que l’affirme la page 4 de couverture? Comme les explications de nature régionale sont peu nombreuses dans cet ouvrage, il est vraisemblable que cela se vérifie. L’ouvrage est illustré de nombreuses photographies ou reproductions de documents. Il est regrettable que la majorité des photographies reproduites soient datées du XXe siècle.
Micheline Dumont
Professeure émérite
Université de Sherbrooke