Serge Gauthier. Laure Gaudreault. La syndicaliste de Charlevoix. Montréal, Éditions XYZ, Collection «Les grandes figures », 2005, 171 pages.

Les Éditions XYZ ont lancé en 1994, la collection « Les grandes figures », dont l’objectif est de présenter à la jeunesse des biographies de personnages variés de l’histoire et de la littérature québécoises. À ce jour, 44 titres figurent dans la collection. Voulant délibérément rejoindre un public plus jeune, les directeurs de la collection autorisent les auteurs à introduire des éléments de fiction dans leurs récits biographiques, notamment, des dialogues. Les critiques que l’on peut formuler à l’égard de cette biographie de Laure Gaudreault s’adressent principalement à ce concept, mais dans le cas précis de ce volume, on peut reprocher aussi un manque évident de recherche dans les documents originaux et des lacunes d’interprétation.

Serge Gauthier, spécialiste de l’ethnographie de Charlevoix, a sous-titré sa biographie : « la syndicaliste de Charlevoix », et il a mis l’accent sur les divers personnages de Charlevoix qui accompagnent le parcours de Laure Gaudreault. « Elle fut surtout une femme enracinée dans un milieu où elle demeura volontairement toute sa vie, soit sa ville de Clermont et la région de Charlevoix ». (p. 17) Il ajoute  : « Elle n’était pas une féministe comme on le conçoit aujourd’hui », sans penser qu’elle a pu être une féministe comme on l’était à son époque. C’est donc avec cette double perspective qu’il nous « raconte » la vie de la pionnière du syndicalisme enseignant. Voyons plutôt.

Le récit est présenté comme une histoire qu’une grand mère, qui aurait connu jadis Laure Gaudreault, raconte à sa petite fille. On suit de la sorte l’enfance de Laure Gaudreault, dans la pauvreté d’un rang de l’arrière-pays; ses études, faites à l’instigation des religieuses de La Malbaie; le début de sa carrière d’enseignante dans une école de rang; son bref passage dans le journalisme à Chicoutimi, au début des années 1930, au Progrès du Saguenay, où elle signe ses articles « Cousine Laure » et « Tante Cécile »; le retour à l’enseignement et la décision de réunir en association les institutrices rurales, soumises à de pénibles conditions de travail : bas salaires, surveillance, congédiement annuel, primes de retraite nettement insuffisantes. Puis suivent ses années de syndicalisme dans la Fédération des Institutrices rurales, créée en 1937; sa détermination face au premier ministre Duplessis; son rôle ambigu à la Corporation des Instituteurs catholiques, après que les trois associations d’enseignants, (Institutrices rurales, Instituteurs ruraux, Instituteurs et institutrices des cités et des villes) eurent pris, à sa suggestion, la décision de fusionner en 1946; sa décision de créer une Association des Retraités de l’enseignement en 1961, et enfin ses dernières années passées dans la solitude à Clermont, dans Charlevoix, de 1965 à 1975.

Sur ce schéma linéaire, presque banal, le rôle important de Laure Gaudreault ressort avec clarté mais sans grandes explications et surtout sans entrer dans les détails. Le recours à des dialogues pour illustrer les principaux éléments de l’action et de la pensée de L.G. oblige à rester à la surface. Certes, les adolescents/tes qui liront ces lignes vont comprendre l’essentiel, mais les artifices de la rédaction entraînent des invraisemblances, des inexactitudes et des omissions. Il est vrai que L.G. cite volontiers l’encyclique Rerum Novarum dans ses écrits. Mais est-il pensable que ce soit sa mère qui lui fasse découvrir ce document pontifical alors qu’elle n’a que huit ans? Pourquoi prétendre que c’est sous l’influence d’un prètre que L.G. découvre le syndicalisme alors que d’autres recherches ont documenté que c’est son frère, syndicaliste, président du syndicat des ouvriers de la Compagnie Donohue à La Malbaie, qui l’a incitée former un syndicat et à utiliser les lois du Code du travail? Pourquoi présenter L.G. comme réfractaire à la lutte pour le suffrage féminin alors qu’elle fait elle-même une analyse politique de cette cause : « Quant à l’institutrice, qui n’a point droit de suffrage, on n’en a cure. Elles restent donc, les pauvres petites institutrices rurales, les éternelles sacrifiées » (Le Progrès du Saguenay, 1936). Pourquoi ne pas souligner le fait que Thérèse Casgrain, la militante féministe, soutient publiquement et activement la cause des institutrices rurales? Pourquoi avoir eu recoursà une correspondance fictive (p. 17) alors qu’il existe des milliers de lettres envoyées et reçues aux Archives de la CSQ? Pourquoi ne pas avoir souligné les problèmes d’organisation des origines; ne pas avoir expliqué ce que signifiait la suppression de l’arbitrage, en 1946, pour les institutrices rurales? Pourquoi ne pas avoir souligné les cercles d’études mis sur pied par L.G.? Pourquoi ne pas expliquer à quel point la fusion des syndicats d’enseignants, en 1946, à l’initiative même de L.G., se soit soldée par une mise en minorité des institutrices rurales dans la nouvelle association, elles qui sont pourtant majoritaires? Pourtant, une étude d’ Hélène Massé, Le regroupement syndical des instituteurs et des institutrices, une perte de pouvoir pour les femmes. Le cas de la Fédération catholique des institutrices rurales, 1936-1953 (Québec, Les cahiers du GREMF, Université Laval, 1992), aurait pu fournir des matériaux pertinents. Pourquoi la grève des enseignants de Montréal, en 1949, ne reçoit-elle qu’une brève allusion, alors qu’il s’agit d’un événement majeur du syndicalisme enseignant? Pourquoi ne pas avoir expliqué les mécanismes qui géraient le calcul des pensions dérisoires accordées aux institutrices?

L’ouvrage comporte un tableau chronologique de vingt pages, qui met en parallèle « Laure Gaudreault et le Québec », face à « Le Canada et le monde ». C’est dans ce tableau, et non pas dans le texte, qu’on peut connaître les dates importantes du parcours de Laure Gaudreault. Il est toutefois peu utile pour la période 1965-1975, après que Laure Gaudreault eut quitté son poste de vice–présidente de la CIC et la vie publique.

En définitive, on doit conclure que si cette biographie de L.G. constitue pour les jeunes une bonne introduction à la vie de la syndicaliste, elle ne saurait constituer un ouvrage sérieux pour documenter la question. Trop de raccourcis, d’omissions, de simplifications. Il est certain que l’action de L.G. aurait été impossible sans l’appui et la protection de prètres de Charlevoix et de Chicoutimi. Mais l’accent central mis sur cet appui se trouve à occulter son action véritable auprès de milliers d’institutrices et laisse croire que L.G. agit principalement sous l’influence de ces prètres. En réalité, sans la mobilisation de toutes les institutrices, dont plusieurs ont été ses fidèles alliées et ont rempli des postes de responsabilité, L.G. n’aurait vraisemblablement pas pu exercer l’action importante qui a été la sienne.

Micheline Dumont
Professeure émérite
Université de Sherbrooke