Stéphane Castonguay et Camille Limoges ont à leur palmarès de nombreuses réalisations : professeurs, chercheurs, conférenciers, auteurs et collaborateurs de longue date dans la diffusion d'articles et d’ouvrages scientifiques. Si Stéphane Castonguay est titulaire, depuis 2003, de la Chaire de recherche du Canada en histoire environnementale du Québec, à l'UQTR, Camille Limoges, un pionnier de l'histoire des sciences au Québec, est considéré comme le père de la politique moderne québécoise en matière de sciences et de technologie. La recherche et la diffusion de l'histoire des sciences constituent pour eux une priorité.
Cette étude sur François Blanchet s'inscrit logiquement dans leur démarche scientifique. Publié chez VLB éditeur, le premier tome de François Blanchet n'est pas ce qu'on pourrait appeler un ouvrage facile, d'abord en raison de la complexité du sujet, mais également dans sa facture, plus familière aux spécialistes, étudiants et chercheurs en histoire des sciences et de la médecine, qu'aux lecteurs profanes. À peu près ignorée jusqu'à maintenant, l'oeuvre scientifique de Blanchet nous est ici présentée dans l'intention de faire redécouvrir ce savant, médecin et homme politique canadien né en 1776 à Saint- Pierre-de-la-Rivière-du-Sud près de Montmagny et mort à Québec en 1830. Négligé par les historiens, il fut pourtant l'un des rares étudiants nés au Bas-Canada, le premier en médecine, à se rendre étudier à l'époque dans une université américaine. Arrivé au Columbia College de New York en 1799, il y présenta sa thèse dès l’année suivante, thèse qui lui valut le titre de bachelier en médecine.
L'ouvrage que nous proposent Castonguay et Limoges est le premier de deux tomes consacrés à François Blanchet. Le livre est divisé en deux parties dont la première nous fait connaître le parcours intellectuel de Blanchet ainsi que sa doctrine scientifique. Le premier chapitre débute par un bref rappel de son passage au Séminaire de Québec et de ses années d'apprentissage en médecine auprès du docteur James Fisher, un médecin d'origine britannique influent à Québec au tournant du 19e siècle. On nous présente ensuite le Columbia College, les professeurs qui y enseignent ainsi qu'un aperçu des cours qui s'y donnent à l’époque du séjour de Blanchet. En deuxième partie du chapitre, nous prenons connaissance de la doctrine scientifique du jeune savant exprimée dans sa thèse Recherches sur la médecine ou l'Application de la Chimie à la médecine. Une édition critique de cette thèse fait l'objet de la seconde partie de l’ouvrage de Castonguay et Limoges.
Dans l'esprit des auteurs, François Blanchet mérite qu'on s'y intéresse, d'abord parce qu'il fut un pionnier parmi les médecins d'origine canadienne de son époque. De plus, la recherche de Blanchet témoigne de la circulation, dès le tout début du 19e siècle, d'un courant de pensée européen dans le monde occidental, de l'influence outreatlantique des théories de Lavoisier et des échanges intellectuels qui prennent forme alors entre les deux continents. Sa thèse, publiée à New York en juillet 1800, fut l'objet de comptes rendus tant aux États- Unis qu'à Québec et même en Europe, notamment en France, en Allemagne et en Autriche. Auteur d'articles pour des revues scientifiques et membre de sociétés savantes américaines, entre autres la Société philosophique de Philadelphie, François Blanchet a, ce faisant, contribué à l’émergence d'une culture scientifique en Amérique. Finalement, témoin de son temps et agent de changement, François Blanchet retrouve, grâce à Castonguay et Limoges, sa juste place parmi nos médecins bâtisseurs.
Le sujet de la thèse de Blanchet, Recherches sur la médecine ou l'Application de la Chimie à la médecine, était en soi tout un programme que nous présentent les auteurs. L'influence des travaux de Lavoisier est marquante. Faisant preuve de modernisme, Blanchet rejette la théorie vitaliste de Stahl et le mécanisme d'Hoffman et, en disciple de Lavoisier, développe une théorie où l'oxygène et le calorique jouent un rôle majeur dans l'économie humaine. Avec comme postulat la théorie du chimiste français sur les gaz, François Blanchet construit un système selon lequel la santé serait le résultat d'un état d'équilibre entre l'absorption des gaz oxygène, hydrogène et azote associés au calorique et l'excrétion des substances nocives générées par la transformation de ces substances au cours de leur transit dans l'organisme. Tout état de déséquilibre étant susceptible de provoquer une maladie, il fallait donc, selon ce système, s'efforcer d'adopter des habitudes de vie saines et éviter tout abus dans le boire et le manger. La chaleur ambiante exerçant une influence sur ces processus, certaines maladies étaient, selon Blancher, causées par un excès de chaleur : les fièvres, dont la fièvre jaune et le typhus, ainsi que la syphilis, notamment. Les variations fréquentes de température étaient également néfastes. À ce sujet, il faut lire son interprétation des causes du goitre, maladie répandue alors dans diverses régions d'Europe mais également en Beauce, près de Québec. Les traitements médicaux devaient viser à rétablir l'équilibre dans l'organisme malade d'où, pour le savant, l'importance d'appliquer sa théorie à la médecine.
Rafraîchir l'organisme, décongestionner les organes trop sollicités, débarrasser le corps des substances nocives, diminuer la température du malade pour faciliter la guérison ont été, tout au long du 19e siècle, les objectifs des diverses thérapies prescrites par les médecins. Des produits comme le calomel, l'ipéca et l'opium, les prescriptions de saignées, cataplasmes et ventouses ont servi à remplir ces fonctions. L’éclairage scientifique que nous fournit la thèse de Blanchet sur ces pratiques médicales, qui aujourd’hui nous apparaissent complètement désuètes, est intéressant et présente, à divers égards, un grand intérêt pour qui se questionne sur l'histoire des sciences et de la médecine au Québec, au 19e siècle.
Castonguay et Limoges nous offrent un travail fouillé, admirablement documenté. L'abondance et la qualité des notes ainsi qu'une bibliographie exhaustive témoignent de la rigueur et de la minutie de ces chercheurs chevronnés. Essentielles, les notes seraient, selon nous, plus pratiques en bas de page plutôt qu'à la fin du texte D'une approche plutôt difficile pour le non initié, leur ouvrage est davantage destiné à des spécialistes. Le tome 2, qui nous présentera François Blanchet médecin et homme politique, devrait pouvoir satisfaire un lectorat plus large et varié. Nous l'attendons avec impatience.
Francine Bolduc
Historienne